Catégorie : Revue des livres Page 2 of 266

Les comptes rendus de lecture publiés dans PE

Le Diplomate et les Français de l’étranger

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2024 de Politique étrangère (n° 4/2024). Pierre Buhler propose une analyse de l’ouvrage de Christian Lequesne, Le Diplomate et les Français de l’étranger. Comprendre les pratiques de l’État envers sa diaspora (Presses de Sciences Po, 2024, 176 pages).

Après son Ethnographie du Quai d’Orsay (Paris, CNRS Éditions, 2017), fruit d’une enquête de terrain, Christian Lequesne renoue avec sa méthode pour observer avec une rigueur d’entomologiste la relation du « diplomate » avec les Français de l’étranger. En près de 90 entretiens, de Tokyo à Londres, de la Côte d’Ivoire à Israël, l’auteur comble une lacune des sciences sociales françaises. En sept chapitres et une conclusion, le tableau se dégage, clair et net, de pratiques encore largement ignorées par la littérature. Il est éclairé par les rappels du contexte historique – celui de l’ancienneté de la fonction de protection consulaire –, par une mise en regard comparée des approches adoptées par d’autres États, et par une exploitation des archives diplomatiques. Les témoignages et anecdotes recueillis lors de l’enquête de terrain permettent d’entrevoir les coulisses de ce monde.

Le périmètre de cet ensemble composite est difficile à cerner, tant s’y logent des catégories très différentes : expatriés, binationaux – près d’un tiers des Français de l’étranger –, émigrés qualifiés au retour incertain, étudiants ou encore retraités en quête de soleil. Si les registres consulaires, sur lesquels l’inscription est facultative, comptent 1,7 million d’inscrits, certaines estimations évaluent le total des Français de l’étranger au double de ce chiffre.

Au-delà des statistiques, l’angle exploré par l’auteur est celui de la relation entre l’État – le « diplomate » – et ses citoyens dispersés autour du monde. Un premier constat est celui d’une intégration forte de cette communauté, définie juridiquement par un statut de « Français établis hors de France », dans l’ensemble national. Les racines plongent loin, dans le passé colonial, lorsque les colonies étaient dotées d’une représentation dans les institutions de la République. À la protection consulaire prévue par le droit international se superpose une « culture unitaire de la citoyenneté nationale garantie par l’État : les droits accordés à la diaspora doivent être les mêmes que ceux des individus vivants à l’intérieur des frontières du pays ».

Moyennant quoi la France garantit à ses citoyens de l’étranger un ensemble de services que ne fournit aucun autre État. Outre la représentation par des sénateurs, députés et conseillers, élus au suffrage universel, direct ou indirect, on y trouve des services d’état civil – qui font ressembler un consulat à une « mairie installée à l’étranger » –, des « lycées français », certes largement ouverts à des élèves non français, des bourses scolaires et des aides sociales, accordées sous conditions de nationalité et de ressources – que les intéressés paient ou non leurs impôts en France. Cet ensemble de prestations relève de la « tradition pastorale du pouvoir », selon la formule de Michel Foucault.

Le second constat dressé par l’auteur est que, contrairement à certains pays, notamment du Sud, qui instrumentalisent leurs diasporas au service de l’intérêt national, la France, imprégnée d’une culture régalienne, reste, dans l’ensemble, réfractaire à la mobilisation de sa communauté dans le déploiement de sa diplomatie d’influence. Symptomatiquement, cette communauté est d’ailleurs absente, relève l’auteur, dans la « feuille de route de l’influence » publiée en 2021 par le ministère.

Pierre Buhler

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The Russian Way of Deterrence

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2024 de Politique étrangère (n° 4/2024). Dimitri Minic, chercheur au Centre Russie/Eurasie de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage Dmitry Adamsky, The Russian Way of Deterrence: Strategic Culture, Coercion, and War (Stanford University Press, 2024, 226 pages).

La dissuasion était un domaine de recherche relativement nouveau pour l’armée russe post-soviétique. En quelques années, les théoriciens militaires ont néanmoins rattrapé leur retard en examinant la littérature occidentale produite sur le sujet durant la guerre froide. Dans une logique d’émulation, les stratégistes russes ont progressivement développé leur propre conception de la dissuasion.

Dans la forge du monde

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2024 de Politique étrangère (n° 4/2024). Maxime Lefebvre propose une analyse de l’ouvrage de Pierre Haroche, Dans la forge du monde. Comment le choc des puissances façonne l’Europe (Fayard, 2024, 224 pages).

Le propos de Pierre Haroche est à la fois banal et original. Banal quand il décrit le déclin de l’Europe dans le monde par rapport aux siècles passés et quand il braque le projecteur sur le rapport entre la construction européenne et l’évolution du monde. Original quand il met des mots, des concepts et des analyses sur le processus et son évolution : de l’Europe « impériale », prolongeant ses rivalités de puissance par les conquêtes coloniales, dominant et unifiant le monde, à l’Europe « subordonnée », unifiée pendant la guerre froide par la pression américaine et par la menace soviétique, à l’Europe « provinciale », qui n’est plus au centre du monde, perd son influence en Afrique et doit se positionner par rapport aux puissances extérieures. C’est dans la « forge du monde » que s’est joué et continue de se jouer le destin du continent.

Weapons in Space

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2024 de Politique étrangère (n° 4/2024). Guilhem Penent propose une analyse de l’ouvrage de Aaron Bateman, Weapons in Space: Technology, Politics, and the Rise and Fall of the Strategic Defense Initiative (MIT Press, 2024, 336 pages).

Pourquoi le processus de maîtrise des armements dans le domaine spatial initié à la fin de la guerre froide n’a-t‑il donné lieu à aucun accord ? En quoi cet héritage explique-t‑il les impasses rencontrées aujourd’hui ? Aaron Bateman apporte ici un début de réponse dans un ouvrage remarqué, écho d’une thèse de doctorat sur l’Initiative de défense stratégique (IDS).

Si l’ouvrage n’est pas le premier sur le sujet, il participe, sur la base d’archives récemment déclassifiées et minutieusement exploitées (essentiellement américaines et britanniques), à renouveler les réflexions en se concentrant sur la dimension technologique de l’IDS, en la replaçant dans le contexte large de la militarisation de l’espace et en établissant des liens avec la stratégie spatiale de l’administration Reagan. Bateman rappelle ainsi avec profit que les années 1970 et 1980 sont témoins d’importantes transformations dans les utilisations militaires de l’espace, incitant États-Unis et URSS à mieux intégrer les satellites dans leurs outils militaires et à développer des moyens antisatellites (ASAT). Ces développements n’ont pas participé à rendre l’IDS inévitable, mais constituent des éléments clés pour comprendre son histoire et expliquent pourquoi son ombre continue de porter quatre décennies plus tard.

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