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Edito PE 3/2012 : Iran et Europe centrale

Éditorial (3-2012) de Dominique David, rédacteur en chef de Politique étrangère

L’Iran reste pour beaucoup le Grand Étranger. À l’image d’une Perse modernisée et occidentalisée par le shah s’est substituée celle d’un pays fermé, arc-bouté sur la réaction religieuse, marginalisé internationalement et pris à la gorge économiquement. L’image qui ressort du dossier que lui consacre ce numéro de Politique étrangère est autre. La société iranienne se transforme comme les autres, même si l’écho politique de cette transformation semble contradictoire.

Guerre civile en Syrie

À lire ci-dessous : l’article d’Isabelle Feuerstoss, “Guerre civile en Syrie : le retour du refoulé”, paru dans Politique étrangère 3/2012.
Isabelle Feuerstoss est chercheur postdoctoral à l’Institut français de géopolitique de l’université Paris 8.
Disponible ici en français (article intégral).

Le soulèvement qui a débuté en Syrie en mars 2011 est souvent interprété comme un effet domino du « printemps arabe ». L’impact des soulèvements tunisien, égyptien, libyen et yéménite sur la détermination des Syriens est indiscutable. Pour autant, malgré la similitude de certains paramètres (chômage endémique, corruption) et revendications (démocratie, dignité), on ne saurait limiter l’analyse de la crise syrienne à un simple effet de contagion. Par son ampleur et ses modalités d’action, elle semble inédite.

Baas et islam en Syrie

Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2012). Judith Cahen propose une analyse de l’ouvrage de Thomas Pierret, Baas et islam en Syrie. La dysnastie Assad face aux oulémas (Paris, PUF, 2011, 336 pages).

De tous les régimes arabes contemporains, l’autocratie syrienne est probablement celui qui présente le plus de contradictions et qui a mis en place un des systèmes politiques les plus opaques de la région. Pourtant, bien avant que le parti Baas devienne parti unique, le projet des hommes politiques syriens était laïc, socialiste et panarabe ; et au milieu du XXe siècle, ce pays était, avec l’Égypte et la Jordanie, un des fers de lance des guerres de libération des territoires occupés par Israël.
En politique intérieure, la prise du pouvoir par Hafez Al-Assad aura permis de cultiver répression et mensonge d’État. Régionalement, la Syrie a arrêté de lutter pour récupérer les territoires perdus depuis la fin du mandat français (du sandjak d’Alexandrette au nord jusqu’au plateau du Golan au sud) mais aussi de soutenir la cause palestinienne. Ses changements d’alliances militaires au Liban, avec la Turquie ou l’Iran, son soutien à la coalition occidentale lors de la guerre du Golfe (1991) ou plus récemment sa coopération avec les États-Unis dans la lutte contre Al-Qaida font d’elle un pays craint ou admiré.
Les « années de plomb » de la décennie 1980-1990 ont laissé une trace indélébile de peur et de soumission dans la mémoire collective syrienne. Jusqu’aux événements de Deraa en mars 2011: dans cette ville du Hauran, région située entre Damas et la frontière jordanienne, la mort d’un adolescent tué par les forces de l’ordre déclenche la révolte qui s’étend aujourd’hui à toutes les grandes villes.
Thomas Pierret comble un vide de la recherche francophone en se penchant sur « l’établissement d’un partenariat ambigu entre le régime et une partie croissante du clergé [ainsi que sur] le rapprochement opéré par le pouvoir baasiste avec ses anciens ennemis, les élites urbaines ». S’il fonde son analyse sur les travaux d’autres chercheurs tels que Volker Perthes, Joseph Bahout, Sakina Boukhaima ou plus récemment Sari Hanafi, l’intérêt de son travail repose en grande partie sur sa monographie de l’élite religieuse savante, qui a su s’adapter aux changements sociaux et à l’autoritarisme baasiste tout en tirant parti du clientélisme ambiant. Parallèlement, T. Pierret explique clairement comment le régime, bien que dominé par la minorité alaouite, a su tisser des liens étroits avec les clercs sunnites par lesquels il a fini par se faire légitimer, sans même avoir recours à une politique délibérée et méthodique de manipulation. Car en Syrie comme ailleurs dans le Machrek, le retour à un piétisme dépolitisé s’est effectué pas à pas et dans un contexte globalisé de transformation de l’autorité religieuse dans les sociétés musulmanes contemporaines. Cette enquête minutieuse sur l’élite religieuse qui, bien que relativement fidèle aux muftis de la République, ne se reconnaît ni dans l’islam officiel damascène ni dans le courant des Frères musulmans syriens en exil offre aux lecteurs une analyse approfondie de la structuration du clergé syrien, des différentes personnalités et confréries qui le composent ou encore de l’environnement sociopolitique des muhafaza (gouvernorats) dans lesquelles il s’est formé.
T. Pierret permet ainsi de comprendre comment les oulémas syriens sont devenus « les acteurs les mieux à même de mobiliser les ressources des entrepreneurs afin de développer l’aide sociale privée dans un contexte d’inégalités croissantes. [… Ils bénéficient] d’un capital symbolique qui pousse désormais les grandes figures du capitalisme de copinage à échanger leur générosité contre l’onction des hommes de religion dans le but de soigner une image écornée ou d’obtenir un siège au Parlement. »
Jusqu’au début des années 2000, l’État a contrôlé et centralisé l’enseignement religieux ; mais ce que l’auteur appelle la « fuite des turbans » vers l’étranger est moins une conséquence de la répression que de la pénurie d’emploi qui touche autant les oulémas que les centaines de milliers de jeunes qui arrivent tous les ans sur le marché du travail.
L’apport le plus intéressant de l’ouvrage dans la compréhension de la complexité syrienne est l’analyse des raisons pour lesquelles les « ingénieurs pieux » ont choisi de promouvoir des intérêts sectoriels, plutôt que de profiter de l’affaiblissement du régime en 2004-2005 pour « tenter d’imposer de nouveaux pactes politiques ».
Il apporte quelques éléments de réponse aux questions des observateurs des révoltes arabes sur le clergé musulman, un clergé qui, en Syrie, s’est divisé entre oulémas soutenant encore le régime et oulémas s’engageant physiquement et moralement aux côtés des manifestants.

Judith Cahen

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L’islam dans la révolution syrienne : 3 questions à Thomas Pierret

 Thomas Pierret, maître de conférences en islam contemporain à l’université d’Édimbourg, répond à trois questions en exclusivité pour politique-etrangere.com.
Il vient de publier un ouvrage intitulé Baas et islam en Syrie. La dynastie Assad face aux oulémas (Paris, PUF, 2011). Il a également rédigé un article intitulé “Syrie : l’islam dans la révolution” paru dans le n° 4/2011 de Politique étrangère.

Quel rôle l’islam joue-t-il dans la révolution en cours en Syrie ?

Il faut distinguer ici entre trois niveaux : culturel, idéologique et organisationnel. L’islam en tant que référent culturel joue un rôle très important dans la révolution syrienne, un phénomène qui reflète la piété d’une grande partie de la société. Les mosquées ont été parmi les tout premiers foyers de manifestations en mars 2011. Pour se donner du courage, les protestataires ont régulièrement entonné des slogans comme « Dieu est grand » ou « Ô Dieu nous n’avons que toi ». Des prières collectives ont été organisées durant les manifestations. En revanche, l’islam en tant qu’idéologie politique articulée (islamisme) est très peu présent dans le discours révolutionnaire : même l’opposition islamiste ne met pas l’accent sur les notions d’État islamique et de charia, alors que ces dernières étaient centrales lors du précédent soulèvement (1979-1982). Enfin, par niveau organisationnel, je fais référence au rôle des leaders religieux et des mouvements islamiques. Certains oulémas (hommes de religion) ont été à l’avant-plan en osant critiquer la répression lors de leurs sermons du vendredi, en démissionnant de leurs fonctions en signe de protestation ou, plus rarement, en devenant membres de comités révolutionnaires locaux. Quant aux mouvements islamistes tels que les Frères musulmans, ils avaient été à peu près complètement éradiqués sous le Ba’th. Par conséquent, si leur poids au sein de l’opposition en exil est considérable, il s’est révélé assez négligeable sur le terrain pendant les 12 premiers mois du soulèvement.

Dans la sphère islamique, les Frères musulmans sont-ils les principaux acteurs de la contestation ?

Jusqu’à présent, les acteurs religieux contestataires les plus visibles à l’intérieur du pays ont été les oulémas qui, à la différence des Frères Musulmans, avaient pignon sur rue et bénéficiaient donc d’une grande notoriété. Les  Frères musulmans occupent une position très marginale sur le terrain puisque cela fait près de 30 ans qu’ils n’ont plus de structures organisées. Ils essaient actuellement de se reconstruire une base populaire en Syrie par le biais de l’envoi d’aide humanitaire et militaire à l’opposition. La répression féroce de l’islam politique par le Ba’th au cours des dernières décennies a également contraint à la marginalité les autres groupes islamistes comme le Parti de la libération islamique, partisan du rétablissement immédiat du Califat, ou le Courant islamique indépendant, un réseau informel d’intellectuels islamistes modérés.
La situation est très différente au sein de l’opposition en exil. Là, s’appuyant sur l’ampleur de leurs réseaux transnationaux et sur leur expérience du travail politique, les Frères musulmans affichent des prétentions hégémoniques. Ils occupent environ un quart des sièges du Conseil national syrien, dont ils constituent la force dominante. Cette position de force est toutefois contestée jusque dans la mouvance islamiste. Elle l’est notamment par le Mouvement Justice et Développement, un parti « démocratique et conservateur » comparable à l’AKP turc, fondé à Londres en 2006. Elle l’est aussi par des islamistes qui n’ont quitté la Syrie qu’après mars 2011 (Haytham al-Malih ou ‘Imad al-Din al-Rashid, fondateur du Courant national syrien) et estiment donc qu’ils sont au moins aussi légitimes que les Frères, basés à l’étranger depuis au moins 30 ans.

Ayman al-Zawahiri a déclaré qu’il soutenait la révolution syrienne. En outre, un groupe djihadiste, Jabhat Al-Nusra Li-Ahl Al-Sham, s’est récemment constitué et des rumeurs circulent au sujet de la libération d’Abu Musab al-Suri. Faut-il craindre que la Syrie devienne un nouveau front d’Al-Qaida ?

La question est éminemment politique puisque le régime syrien use de cette thématique pour délégitimer l’opposition. Après son échec en Irak, il est logique qu’Al-Qaida cherche en Syrie un nouveau terrain de djihad. De ce point de vue, le pays constitue une cible idéale puisqu’un mouvement de contestation majoritairement sunnite y est écrasé dans le sang par un régime alaouite et allié à l’Iran chiite, le tout sous le regard impuissant des pays occidentaux. Malgré cela, Al-Qaida n’est pas (encore ?) devenue un acteur significatif dans le conflit. L’écrasante majorité des opérations menées contre les forces du régime le sont par des brigades se réclamant de l’Armée syrienne libre. Or ces dernières usent d’une symbolique islamo-nationaliste très différente du salafisme-djihadisme d’Al-Qaida. Les efforts de Jabhat al-Nusra (« le Front du soutien ») pour se donner une présence médiatique sont pour l’instant pathétiques : il s’agit d’une une poignée de vidéos de mauvaise qualité et contenant peu d’images originales, si bien qu’elles ne permettent pas de lever les doutes concernant la réalité de cette organisation. L’administration américaine a pointé Al-Qaida du doigt suite aux attentats menés contre les sièges des renseignements syriens à Damas et Alep en décembre et janvier dernier. Les Américains ne savent en réalité pas grand-chose des responsables de ces attentats et l’accusation paraît surtout destinée à permettre à Washington de se laver les mains du dossier syrien. Al-Qaida est certes un coupable potentiel mais les attaques peuvent tout aussi bien être le fait d’opposants non djihadistes. On ne peut pas non plus exclure une manipulation du régime sur le modèle algérien.

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