Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Marc Hecker, chercheur au Centre des études de sécurité à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Marc Sageman, Misunderstanding Terrorism (University of Pennsylvania Press, 2016, 216 pages).

Misunderstanding terrorism

Marc Sageman est un homme aux multiples facettes. Médecin, psychiatre, titulaire d’un doctorat en sociologie politique, il a travaillé pour l’US Navy, la CIA ou encore la police de New York. Il s’est fait connaître en France voici une douzaine d’années avec Le Vrai Visage des terroristes (Denoël, 2005). Son deuxième livre, Leaderless Jihad (University of Pennsylvania Press, 2008) n’a pas été traduit en français mais a déclenché une polémique aux États-Unis : contrairement aux auteurs qui insistaient sur l’importance d’« Al-Qaïda central », Sageman mettait en avant l’émergence d’un djihad décentralisé, avec des liens de commandement diffus voire inexistants.

Sageman aime visiblement les controverses. En 2014, il a publié un article intitulé « The Stagnation in Terrorism Research », qui a déclenché une tempête dans le monde feutré des spécialistes du terrorisme. Il y dénonçait l’incapacité des chercheurs à comprendre les causes du passage à la violence, malgré les crédits de recherche considérables débloqués par le gouvernement américain. Le titre de son nouvel ouvrage Misunderstanding Terrorism fleure bon, lui aussi, la polémique. Qui ne comprend pas le terrorisme ? À peu près tout le monde, semble-t-il. Au fil des pages, plusieurs experts renommés – Bruce Hoffman, Fernando Reinares, Jerrold M. Post, Ted Robert Gurr – sont égratignés. Leurs méthodes ne seraient pas suffisamment scientifiques et ne permettraient pas d’appréhender les ressorts de la radicalisation, puis du passage à l’acte violent.

Les politiciens sont aussi pointés du doigt. Ils joueraient sur les peurs et surévalueraient la dangerosité du djihadisme. Les djihadistes, rappelle Sageman, ne possèdent pas d’armes nucléaires, de divisions blindées ou de missiles à longue portée. Ils ne représentent pas une menace existentielle. La surévaluation de la menace entraîne une sur-réaction d’autant plus dangereuse qu’elle tend à s’institutionnaliser, et risque d’alimenter une escalade de la violence. À cet égard, l’auteur de Misunderstanding Terrorism vise plus spécifiquement le développement des fichiers de suspects – qui comporteraient une écrasante majorité de faux positifs –, et la multiplication des sting operations du FBI – une pratique qui consiste à permettre à des agents infiltrés de se faire passer pour des recruteurs, et de susciter ainsi des vocations terroristes. Sans ces agents provocateurs, les personnes arrêtées n’auraient vraisemblablement pas été tentées de passer à l’acte.

Bien sûr, Sageman ne nie pas l’existence du terrorisme. Il explique simplement que les vrais terroristes – ceux qui franchissent effectivement le seuil de la violence – sont rares, et il se risque même à avancer des statistiques : de 2001 à 2011, les pays occidentaux auraient « produit » en moyenne 3 terroristes pour 100 millions d’habitants par an. La difficulté consiste à identifier les individus susceptibles de franchir ce seuil. Ceux-ci cumulent généralement plusieurs caractéristiques : ils se sentent appartenir à une communauté qui évolue progressivement en contre-culture, ils ont l’impression que cette communauté est agressée et doit être défendue, et ils pensent que les méthodes de défense non violentes ont largement échoué. Ces quelques pistes laisseront probablement les praticiens en quête d’un « détecteur de terroristes » sur leur faim, mais s’il est bien une leçon à retenir de ce livre, c’est qu’un tel détecteur n’existe pas.

Marc Hecker

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