Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Guilhem Penent propose une analyse de l’ouvrage de Xavier Pasco, Le nouvel âge spatial. De la Guerre froide au New Space (CNRS Éditions, 2017, 192 pages).

Le New Space se veut la traduction d’une nouvelle donne schumpetérienne, provoquée par l’impact de la révolution numérique sur les structures stato-­centrées héritées de la guerre froide (le Old Space). Utilisée à l’excès, la formule, qui est aussi slogan, a été élevée au rang de grille de lecture privilégiée des bouleversements en cours dans le secteur spatial. C’est l’intérêt de cet essai dense que de replacer ce renouveau dans son contexte en posant l’hypothèse, ambitieuse mais lumineuse, de l’avènement d’un authentique « nouvel âge spatial ». L’objectif est bien « d’essayer de comprendre les prémisses d’une apparente “reconquête de l’espace” aux États-Unis » et surtout d’en mesurer les implications.

Xavier Pasco brosse en six chapitres un tableau rendant justice au caractère protéiforme du New Space : aussi bien danger qu’opportunité (en particulier pour une Europe une nouvelle fois soumise à la peur du déclassement face au « défi américain ») ; bulle spéculative et nouvel écosystème prenant le relais de l’acteur public ; élément perturbateur en quête de maturité technique et facteur de stabilité. D’autant que s’il participe par maints aspects d’une nouvelle vision potentiellement plus pérenne de l’espace, celle-ci ne fait pas consensus. On apprécie à ce titre la typologie éclairante de l’auteur entre «gestionnaire » (l’espace comme outil) et « visionnaire » (l’espace comme fin en soi), qui souligne la singularité de la démarche d’Elon Musk avec SpaceX, habituellement considérée comme l’archétype même de ­l’entreprise New Space.

Ce faisant, Pasco montre toute la continuité du phénomène derrière l’apparence de changement. L’analyse, qui interpelle par sa grande clarté et sa profondeur, est organisée selon trois niveaux superposés de lecture, lesquels constituent autant de clés de compréhension de l’histoire spatiale.

Tout d’abord, en centrant la réflexion sur les États-Unis, qui concentrent à eux seuls la majorité de l’effort spatial de la planète : le New Space apparaît autant comme la dernière incarnation d’une tendance déjà à l’œuvre dans l’immédiat après-guerre froide que comme le début possible d’un nouveau chapitre de l’aventure spatiale américaine, ­suivant celui qu’ouvrit Spoutnik.

Ensuite, en mettant l’accent sur le devenir de la communauté spécialisée qui s’est donnée pour objet de représenter le spatial : structurellement en crise car condamnée à s’interroger constamment sur la raison d’être de ses grands programmes, celle-ci est contrainte d’accepter des éléments aux modes d’action radicalement différents.

Enfin, en interrogeant l’évolution des liens qui unissent l’espace à la société : le spatial ne fonctionne qu’à travers des politiques qui lui donnent sens, l’enjeu de cette ouverture au monde extérieur étant de recréer une connexion durable susceptible de donner une place à l’espace dans le débat public.

Directeur de la Fondation pour la recherche stratégique, Pasco fait partie des quelques noms qui comptent dans un domaine qu’ont tendance à délaisser les universitaires, et qui est souvent laissé aux seules analyses expertes et à ce que Serge Grouard appelait les «visions déformées de l’espace ». Xavier Pasco, dont la connaissance intime du sujet n’est plus à démontrer, a le grand mérite de combiner le meilleur des deux mondes. L’œuvre de déconstruction, qui vient combler une lacune importante, est ici associée à une entreprise de reconstruction tout aussi utile et réussie.

Guilhem Penent

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