Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (3/2012). Maxime Lefebvre, directeur des relations internationales à l’École nationale d’administration (ENA) et professeur en questions internationales à Sciences Po Paris, propose une analyse de l’ouvrage d’Hubert Védrine, Dans la mêlée mondiale : 2009-2012 (Paris, Fayard, 2012, 513 pages ).
Bien qu’ayant quitté les affaires depuis dix ans, l’ancien ministre des Affaires étrangères n’a cessé de scruter et de commenter l’évolution des relations internationales, à la fois dans le cadre de son activité de conseil et par son implication continue dans les réseaux politiques, intellectuels et médiatiques. Comme il l’avait fait dans des ouvrages précédents (Face à l’hyperpuissance [Fayard, 2003], Le Temps des chimères [Fayard, 2009]), il présente dans cette nouvelle publication l’ensemble de ses discours et articles des trois dernières années. Hubert Védrine n’est pas un universitaire, théoricien ou historien des relations internationales, à l’exemple de Henry Kissinger ; il est plus adepte des analyses courtes et opérationnelles que des longues réflexions théoriques. Il n’en présente pas moins l’originalité (unique en France, à son niveau) d’être à la fois un praticien et un intellectuel des relations internationales et de la politique étrangère.
Publier un recueil d’articles et d’interventions présente à la fois un avantage et un inconvénient. L’inconvénient, ce sont les redites inévitables et l’absence de mise en perspective, encore qu’Hubert Védrine ait pris soin d’ordonner par thèmes ces textes portant sur des sujets très variés, et d’y ajouter une préface générale. L’avantage est de voir émerger à travers ces contributions successives, qui prennent parfois la forme de dialogues avec des journalistes, des responsables et des intellectuels, une véritable maïeutique.
Car il y a de la sincérité chez Hubert Védrine. Sa vérité est une pensée structurée, mûrie par l’expérience et la réflexion, qui ne cède pratiquement jamais aux modes, aux facilités ou à l’opportunisme politique, mais garde en permanence, avec un souci de haute exigence, le cap du long terme et de l’intérêt du pays. Hubert Védrine « cherche à être intellectuellement honnête et à dire des choses vraies ». Il analyse et ordonne les phénomènes et les mutations géopolitiques, relativisant par exemple la portée du 11 septembre ou de l’affaire WikiLeaks par rapport aux deux grands enjeux qui lui semblent majeurs aujourd’hui : la montée des émergents (la perte du monopole occidental de la conduite du monde) et la question écologique (il a récemment lancé le concept d’« écologisation », après avoir popularisé dans les années 1990 celui d’« hyperpuissance » américaine). En parfait accord avec les orientations de Barack Obama, qu’il soutient, sa pensée est profondément universaliste (« J’essaie de contribuer, par mes écrits et mes réflexions, à ce que l’Occident soit plus universel ») et, sur le plan de la méthode, défend le rôle de la diplomatie qui est de parler aussi à ses ennemis ou à ceux avec lesquels on n’est pas d’accord.
Pour autant, Hubert Védrine, loin d’être un idéaliste, revendique fermement son ancrage dans la Realpolitik, et à ce titre revendique un rôle original (par rapport au mainstream intellectuello-médiatique) en soumettant les « mots valises » (communauté internationale, gouvernance, « fédéralisme » européen, etc.) à une critique acérée, et en prenant (non sans un certain courage politique) le contrepied des croyances dominantes sur la promotion des Droits de l’homme et de la démocratie (« L’évangélisation selon Saint- Paul reste le logiciel profond des élites européennes à travers les siècles »). Il prend soin par exemple de distinguer entre « droit d’ingérence » (critiquable en général) et « responsabilité de protéger » (qu’il faut parfois mettre en œuvre, par exemple en Libye). Il a mis en garde très tôt contre l’illusion que les révolutions arabes apporteraient rapidement la démocratie. Il veut réveiller l’Europe en mobilisant l’énergie des États-nations, plutôt que par une fuite en avant dans une Europe « postdémocratique » et « post-tragique » (« Faisons l’Europe par le haut, par convergence de nos ambitions, et non par épuisement collectif »).
On prend beaucoup de plaisir – même si l’on n’est pas toujours d’accord sur tout – à ces analyses lucides, limpides, stimulantes et clarificatrices, sans concessions, qu’expriment les écrits d’H. Védrine. On en prend d’autant plus que l’ancien ministre a l’art des formules savoureuses (Obama et Clinton gèrent le processus de démocratisation de l’Égypte « comme un transport de nitroglycérine » ; « dans la mondialisation, il y a les mondialisateurs et les mondialisés » ; la « bagarre multipolaire » ; la Russie « puissance surnageante » ; la défense européenne et son « côté boy-scout » ; l’Europe court le risque de devenir « un ensemble gélatineux qui n’a plus de pensée propre » et « l’idiot du village global » ; etc.). Bref, une lecture à recommander à tous ceux qui veulent réfléchir sur l’évolution du monde et mieux le comprendre.
Maxime Lefebvre
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