À lire ci-dessous : l’article d’Adrien Schu, “Le Pakistan et l’Afghanistan : paradoxes d’une stratégie”, paru dans Politique étrangère 1/2013.
Disponible ici en français (texte intégral en PDF).
Résumé : Le Pakistan soutient des groupes insurgés en Afghanistan pour rompre les liens entre New Dehli et Kaboul et pour s’assurer d’une profondeur stratégique dans un éventuel conflit avec l’Inde. Pour ce faire, Islamabad accepte une certaine porosité de sa frontière afghane et prend ainsi le risque de réévaluer la contestation de la ligne Durand : Kaboul l’a en effet toujours dénoncée comme un héritage de la colonisation, alors que les Talibans, pour leur part, ont toujours refusé de la légitimer.
Depuis 1974, le Pakistan mène une politique de soutien à des groupes insurgés en Afghanistan. Cette politique a pour objectif premier de rompre la proximité entre Kaboul et New Delhi afin d’éliminer le risque d’un double front en cas de guerre avec l’Inde et de garantir aux Pakistanais une « profondeur stratégique ». Elle vise aussi à préserver l’intégrité du Pakistan, menacée par la contestation de la frontière pakistano-afghane, appelée ligne Durand[1]. En cela, la stratégie afghane du Pakistan a été conçue en réponse à une double menace existentielle qui pèserait sur l’État pakistanais. Cela explique l’importance que le Pakistan accorde à cette politique, illustrée par le lourd tribut financier, économique[2] et diplomatique[3] auquel Islamabad consent pour la préserver. Pourtant, pour un certain nombre d’analystes, non seulement la stratégie pakistanaise « ne fonctionne pas[4] », mais elle a des résultats contre-productifs, mettant en danger la sécurité même du Pakistan[5]. Pour Ashley J. Tellis, « chaque [scénario] prévisible de la guerre afghane […] ne présage aujourd’hui rien que de sérieux périls pour Islamabad[6] ». Notre analyse aboutit aux mêmes conclusions : un succès des Talibans ne garantirait pas la fin de la contestation de la ligne Durand et ne constituerait donc qu’une victoire illusoire pour le Pakistan.
Le Pakistan face à la question pachtoune
Origines et contestations de la ligne Durand
Depuis sa création en 1947, le Pakistan fait face à une double contestation de sa frontière avec l’Afghanistan. Tout d’abord, Kaboul persiste dans son refus de reconnaître la ligne Durand, héritée de la colonisation britannique. Les Afghans considèrent, à juste titre7, que le traité anglo-afghan sur la délimitation de la ligne Durand de 1893 leur a été imposé sous la contrainte quelques années seulement après leur défaite lors de la seconde guerre anglo-afghane (1878-1880). Ils se sont saisis de la création du Pakistan pour dénoncer l’accord signé au temps de la colonisation. L’Afghanistan est alors le seul État à s’opposer à la candidature du Pakistan à l’Organisation des Nations unies[8] (ONU). En 1949, dans un contexte de tension pakistano-afghane, une Loya Jirga (« grand conseil »), institution traditionnelle afghane, rejette officiellement la légitimité de la ligne Durand[9]. De plus, les Pachtouns continuent à militer pour leur réunification, alors que le Pachtounistan (le « territoire des Pachtouns ») est traversé par la ligne Durand : il y aurait aujourd’hui environ 20 millions de Pachtouns du côté pakistanais et un peu plus de 12 millions du côté afghan[10]. L’Afghanistan ayant presque toujours été (à deux moments près) dirigé par des Pachtouns et Kaboul ayant soutenu les insurrections pachtounes
dans les zones tribales pakistanaises[11] de 1948 et 1960, il est commun de ne pas distinguer les contestations pachtounes et afghanes de la ligne Durand. Pour autant, la distinction est pertinente : le nationalisme afghan et le nationalisme pachtoun ne se confondent pas, d’où des divergences dans leurs revendications. L’Afghanistan souhaite récupérer non seulement les territoires pachtouns du côté pakistanais de la frontière mais également de larges portions du Baloutchistan[12]. Inversement, certains Pachtouns militent pour la création d’un Pachtounistan indépendant ; d’autres se sont ralliés à l’idée d’une province pachtoune intégrée dans la fédération pakistanaise[13].
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Adrien Schu
Adrien Schu est doctorant en science politique au Centre Montesquieu de recherches politiques (CMRP – université Montesquieu Bordeaux IV). Il bénéficie d’une allocation de thèse de la Délégation générale pour l’armement (DGA) et est également rattaché à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM).
Les vues exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne représentent en aucun cas une position officielle du ministère de la Défense.
1. B.R. Rubin, « Saving Afghanistan », Foreign Affairs, vol. 86, n° 1, 2007, p. 57-78.
2. A. Rashid, L’Ombre des Talibans, Paris, Autrement, 2001, p. 241.
3. C.C. Fair, « State of Terror », Foreign Policy, 10 septembre 2012, disponible sur : <http://www.foreignpolicy.com/articles/2012/09/10/state_of_terror?page=full>.
4. C.C. Fair, « Try to See It My Way », The AfPak Channel, Foreign Policy, 24 mai 2011, disponible sur : <http://afpak.foreignpolicy.com/posts/2011/05/24/try_to_see_it_my_way>.
5. T.H. Johnson et M.C. Mason, « No Sign until the Burst of Fire. Understanding the Pakistan-Afghanistan Frontier », International Security, vol. 32, n° 4, 2008; p. 41-77, disponible sur : <http://belfercenter.ksg.harvard.edu/publication/18241/no_sign_until_the_burst_of_fire.html>.
6. A.J. Tellis, « Pakistan’s Coming Defeat in Afghanistan », The Diplomat, 3 juillet 2012, disponible sur : <http://thediplomat.com/2012/07/03/pakistans-coming-defeat-in-afghanistan/?utm_campaign=Feed%3A%20the-diplomat%20%28The%20Diplomat%20RSS%29&utm_medium=feed&utm_source=feedburner>.
7. T.H. Johnson et M.C. Mason, 2008, op. cit., p. 68.
8. B.R. Rubin et A. Siddique, Resolving the Pakistan-Afghanistan Stalemate, Washington, DC, United States Institute of Peace, octobre 2006, « Special Report », n° 176, 20 p.
9. F. Khan, « Why Borrow Trouble for Yourself and Lend It to Neighbors? Understanding the Historical Roots of Pakistan’s Afghan Policy », Asian Affairs: An American Review, vol. 37, n° 4, 2010, p. 171-189.
10. A.G. Munoz, Pashtun Tribalism and Ethnic Nationalism, Williamsburg, VA, Tribal Analysis Center, mars 2010, p. 12.
11. F. Khan, 2010, op. cit.
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