Jacques Bendelac, directeur de recherche à l’Institut israélien de sécurité sociale, a publié un article intitulé « L’économie israélienne dans tous ses états » dans le no 1/2013 de Politique étrangère. Il répond à trois questions, en exclusivité pour politique-etrangere.com.
L’environnement géopolitique d’Israël est très instable. Pourtant, l’économie israélienne est florissante. Comment expliquer ce paradoxe ?
La géopolitique régionale n’a que très peu d’influence sur l’économie israélienne.
Entouré d’ennemis et isolé dans un environnement hostile depuis 65 ans, Israël a très tôt renoncé à entretenir des relations régionales pour se tourner vers les autres continents : le commerce régional ne remplit donc qu’une place marginale dans l’économie d’Israël. C’est ainsi qu’en 2012, l’Europe absorbait 31 % des exportations israéliennes, les États-Unis 24 % et l’Asie 21 %.
Parmi ses voisins immédiats, Israël entretient un commerce marginal avec l’Égypte (qui est même devenu négligeable depuis la rupture des approvisionnements de gaz à partir de 2011) et avec la Jordanie ; quant à l’union douanière qui existe entre Israël et les Territoires palestiniens, elle profite essentiellement aux produits israéliens alors que les autorités israéliennes freinent la libre circulation des marchandises palestiniennes. En revanche, la Turquie était toujours le sixième partenaire commercial d’Israël en 2012, malgré un refroidissement des relations politiques entre les deux gouvernements.
Au total, les relations économiques et commerciales qu’Israël entretient avec les pays de la région sont marginales pour l’économie israélienne, ce qui explique que l’environnement géopolitique n’ait pas d’impact sur le rythme de sa croissance.
En revanche, la conjoncture internationale peut avoir un impact sur l’économie israélienne : les débouchés extérieurs d’Israël se ferment et les flux d’investissements se ralentissent. Si au début des années 2010, l’économie israélienne faisait preuve d’une insolente bonne santé, c’était grâce, notamment, à son système bancaire stable, à la compétitivité de ses entreprises et aux récentes découvertes de gaz qui lui permettront d’accéder à l’indépendance énergétique, voire d’exporter une partie de ses excédents gaziers.
Le secteur militaire est-il encore un moteur essentiel de l’économie israélienne ?
Au cours des trois premières décennies de l’État d’Israël, le secteur militaire a constitué un des principaux moteurs de l’économie israélienne. Mais au milieu des années 1980, la tendance s’est retournée : le passage du dirigisme économique à un libéralisme total a aussi concerné le secteur de la Défense qui a perdu de son importance dans l’économie israélienne.
À la suite de la guerre des Six Jours (1967), l’embargo que la France a imposé sur la livraison d’armes à Israël a constitué un tournant dans la politique israélienne d’approvisionnement en matériel militaire. L’industrie locale a alors remplacé les fournisseurs étrangers défaillants, ce qui a conduit à la création d’un complexe militaro-industriel de grande envergure. Durant les deux décennies qui ont suivi la guerre des Six Jours, le secteur de production militaire est devenu un des principaux moteurs de la croissance de l’économie israélienne ; c’est lui qui a contribué à l’essor de l’industrie de haute technologie qui a largement appliqué les résultats de la recherche militaire à des fins civiles.
Ce modèle de croissance fondé sur le secteur militaire s’est poursuivi jusqu’au milieu des années 1980. L’exportation d’armes israéliennes a même pris la relève de la demande intérieure, ce qui a encore contribué à relancer la croissance de l’industrie militaire.
Mais au cours des deux dernières décennies, le complexe militaro-industriel a perdu de son importance dans l’économie israélienne : en 2010, l’industrie militaire employait 60 000 salariés, soit un peu plus de 2 % de la population active du pays, et elle contribuait entre 4 et 5 % du produit intérieur brut. En revanche, les exportations de matériel militaire vont en augmentant : en 2010, environ 80 % de la production militaire était exportée (soit 7 milliards de dollars) ce qui représentait 17 % des exportations industrielles d’Israël.
À quel point l’économie israélienne dépend-elle du soutien d’autres pays, en particulier des États-Unis ?
L’aide étrangère a été déterminante pour le démarrage de l’économie israélienne au cours des premières années de son indépendance. Si le soutien des Européens a connu d’importantes fluctuations, les États-Unis ont apporté leur aide sans discontinuer à l’État juif. Cette aide a pris la forme d’un soutien financier (économique et militaire), d’une coopération technologique (civile et militaire) et d’un appui international (politique et diplomatique) inconditionnel.
Mais au fur et à mesure du développement de l’économie israélienne, l’aide financière des États-Unis a perdu de son importance : en 2008, le volet de l’aide économique a même été supprimé alors que seule l’aide militaire était maintenue. Certes, cette aide annuelle que l’administration américaine accorde à Israël permet de couvrir une partie non négligeable du budget militaire israélien : en 2012, l’aide militaire américaine à l’État juif s’est montée à 3 milliards de dollars, soit 20 % du budget militaire israélien, ce qui représente encore une ressource importante pour le coût déjà élevé de la Défense d’Israël.
En revanche, l’aide américaine devient marginale si on la compare à la richesse nationale : au début des années 2010, l’aide militaire des États-Unis représentait moins de 2 % du PIB israélien.
Propos recueillis par Marc Hecker le 15 avril 2013.
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