Cette recension est issue de Politique étrangère 1/2013. Jean-Loup Samaan propose une analyse de l’ouvrage d’Inderjeet Parmar, Foundations of the American Century: the Ford, Carnegie, and Rockefeller Foundations in the Rise of American Power (New York, NY, Columbia University Press, 2012, 368 pages).
Auteur d’une précédente étude remarquée sur les think tanks américain Council on Foreign Relations et britannique Royal Institute of International Affairs, Inderjeet Parmar s’attaque avec ce nouvel ouvrage au rôle des trois grandes fondations (Ford, Carnegie, Rockefeller) dans le financement et la structuration du champ des relations internationales aux États-Unis. Pour I. Parmar, ces trois acteurs ont joué un rôle clé tout au long du xxe siècle pour faire de l’Amérique une puissance globale, abandonnant son penchant isolationniste pour épouser une ambition mondiale. En d’autres termes, en contribuant financièrement à former la discipline américaine des relations internationales, les fondations ont pu orienter de façon décisive les agendas de recherche en déterminant les règles d’énonciation des grandes problématiques. Par leur manne financière, les fondations américaines peuvent donc contrôler les termes du débat international.
Pour étayer son propos, I. Parmar étudie la genèse des fondations au début du siècle dernier, puis leur activisme dans l’entre-deux-guerres et à partir de 1945 dans la promotion de l’école réaliste des relations internationales aux États-Unis. L’ouvrage élargit ensuite son périmètre en analysant le rôle extérieur joué par ces fondations, notamment dans la formation d’élites pro-américaines en Indonésie, au Chili – avec les fameux Chicago Boys [1] – et au Nigeria. Il s’achève sur une analyse des programmes des trois fondations depuis la fin de la guerre froide, en particulier durant la période de la « guerre contre le terrorisme ».
Ce travail comble un vide certain dans l’analyse de la politique étrangère américaine : s’il existe désormais une littérature ample sur les think tanks, les fondations comme acteurs à part entière de la stratégie de Washington n’avaient pas encore fait l’objet d’une étude aussi minutieuse. I. Parmar inscrit sa réflexion dans le sillage des travaux critiques de Michel Foucault, d’Antonio Gramsci ou de Pierre Bourdieu sur la constitution des savoirs, sur le rôle conféré aux « intellectuels organiques » ou encore sur l’émergence de « réseaux de savoir » – concept clé chez I. Parmar, que l’on pourra rapprocher de celui de « communauté épistémique » de Peter Haas [2]. Ajoutons que cette profondeur théorique est soutenue par un travail empirique très solide. L’auteur mobilise systématiquement archives et entretiens, qui lui permettent de dresser un panorama complet de l’évolution des fondations. Certains passages sont passionnants : tel celui sur l’historique des séminaires d’Henry Kissinger à Harvard financés par la Ford Foundation, ou encore sur le rôle trouble des fondations dans la destitution de Soekarno par Suharto en Indonésie en 1967. En somme, Foundations of the American Century est un ouvrage académique offrant un éclairage précieux sur les dynamiques méconnues entre philanthropie et politique étrangère américaine.
Jean-Loup Samaan
[1] Cf. Y. Dezalay et B. Garth, La Mondialisation des guerres de palais. La restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, entre notables du droit et Chicago Boys, Paris, Seuil, 2002.
[2] P. Haas, « Introduction: Epistemic Communities and International Policy Coordination », International Organization, vol. 46, no 1, hiver 1992.
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