Cette recension est issue de Politique étrangère 1/2013. Alain Lagarde propose une analyse de l’ouvrage de Jean d’Amécourt, avec Romain Poirot-Lellig – Diplomate en guerre. Les coulisses de l’engagement de la France (Paris, Robert Laffont, 2013, 364 pages).
Les diplomates sont-ils censés empêcher la guerre et conclure la paix ? On pouvait encore le croire avant de lire les mémoires de guerre de Jean d’Amécourt, trois ans en poste en Afghanistan. Au fil de minutieuses descriptions des lieux, des hommes et de ses impressions, J. d’Amécourt met en lumière les apories de la guerre d’Afghanistan : reconstruire un pays qui n’en est finalement pas un, remplir un tonneau des Danaïdes budgétaire pour financer des projets à l’avenir douteux, mener une campagne de contre-insurrection qui doit à la fois éliminer physiquement l’adversaire, conquérir les cœurs des Afghans en respectant leurs coutumes incompatibles avec les règles d’engagement des forces, tout en assurant à ces dernières la plus grande protection, assurer une aide humanitaire, médicale, sociale sans qu’elle soit détournée par l’ennemi, permettre aux généraux d’établir des communiqués de victoire en estompant sans cesse la vanité des succès…
Jour après jour, l’ambassadeur est à la croisée du sublime et du grotesque. Visites aux troupes, concerts de musiques traditionnelles, organisation des déplacements des plus hautes autorités qui passent comme un souffle sur l’eau, excursions archéologiques, prises d’otages à débrouiller, combinazione de tous les instants avec ses homologues et le gouvernement afghan qui semble parfois relever de l’aréopage de potentats plus que d’une structure avec laquelle dialoguer, arbitrage entre militaires et humanitaires aux objectifs, intérêts et aussi ambitions souvent opposés… On appréciera une splendide galerie de portraits, dont celui du président Karzaï, à la manœuvre dans son « labyrinthe » politique, au point de déplorer la retenue d’une plume qui ne peut pas tout dire parce que les hommes dépeints dans ces pages acerbes sont toujours aux affaires – et bien souvent à leurs affaires avec l’argent de la reconstruction de l’Afghanistan, c’est-à-dire celui des citoyens des nations alliées.
Voici un témoignage indispensable à qui veut comprendre ce qu’est la guerre au XXIe siècle, loin des prétendues ambitions géopolitiques de la campagne d’Afghanistan. On en appréciera d’autant plus la lecture qu’on ne prendra pas ce livre pour ce qu’il n’est pas. Avec discernement, l’auteur ne s’est voulu ni historien, ni donneur de leçons, mais seulement chroniqueur. Il rapporte les faits qu’il perçoit et ne prétend pas avoir tout vu ; il décrit ses impressions sans disqualifier celles des autres. Il fournit ainsi un document brut pour la compréhension de notre temps : à nous d’en tirer le meilleur parti – ce qui en rend la lecture d’autant plus intéressante car elle nourrit notre jugement, mais parfois agaçante car les allers-retours chronologiques dévoilent les causes et les effets dans un désordre peu respectueux des règles de l’exposition littéraire. L’ouvrage perd ainsi en rigueur ce qu’il gagne en spontanéité.
La question reste donc entière : dans quelle mesure le témoin fut-il vraiment acteur ; la France – comme ses alliés et peut-être comme les États-Unis eux-mêmes – n’a-t-elle pas été finalement en Afghanistan le spectateur d’une histoire écrite par d’autres, au fil d’une trame immémoriale que les stratèges occidentaux n’ont jamais vraiment comprise ? J. d’Amécourt nous rappelle ainsi d’une plume légère que si les hommes font l’Histoire, ils ne savent pas l’Histoire qu’ils font.
Alain Lagarde
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