Cette recension est issue de Politique étrangère 1/2013. Yves-Marie Davenel propose une analyse de l’ouvrage de Marlène Laruelle et Sébastien Peyrouse, The Chinese Question in Central Asia. Domestic Orders, Social Change, and The Chinese Factor (Londres, Hurst, 2012, 272 pages).

00-Laruelle-PeyrouseAprès avoir publié sur les évolutions sociopolitiques des sociétés centrasiatiques, et plus récemment sur les stratégies chinoise et indienne en Asie centrale, les auteurs analysent ici la perception et l’impact de la Chine sur le développement politique, économique et sociétal de cinq États d’Asie centrale. Souhaitant dépasser les approches géopolitiques habituellement réduites à une analyse des questions énergétiques et sécuritaires, les auteurs proposent une approche pluridisciplinaire alliant relations internationales, économie et sociologie. L’état des lieux ambitieux qu’ils dressent est cependant confronté à deux limites étroitement corrélées : celle de la disparité des sources premières, elle-même liée au degré d’ouverture et de liberté d’opinions, différent selon les États étudiés. De facto, et malgré la convocation d’une vaste littérature scientifique, l’étude des médias et la conduite de nombreux entretiens en Asie centrale et en Chine, le lecteur trouvera ici plus d’informations sur le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan que sur l’Ouzbékistan et le Turkménistan, où les discours sur la présence et les relations avec la Chine sont entièrement contrôlés par le régime.
Structuré en deux parties, l’ouvrage se propose d’abord de contextualiser les principaux enjeux de la présence chinoise en Asie centrale (démarcation des frontières, règlement de la question ouïgoure, intérêts énergétiques et ouverture de nouveaux marchés), pour revenir dans un second temps sur la façon dont cette présence est perçue par les autorités, les élites intellectuelles et, dans une moindre mesure, par certains corps intermédiaires. Après avoir rappelé en introduction l’asymétrie structurelle des relations entre la Chine et les républiques d’Asie centrale, qui occupent une place marginale dans la politique économique et diplomatique de ce pays, les auteurs montrent avec force précisions historiques et socio-économiques, pour chacun des pays, la façon dont les relations se sont construites avec leur grand voisin, les intérêts particuliers et régionaux à l’œuvre, les atouts et faiblesses et, partant, les marges de négociation possibles dans le cadre de relations bilatérales déséquilibrées. La nature même de ces échanges structure les perceptions et les ressentis des élites intellectuelles et des populations centrasiatiques directement concernées à l’égard de la Chine, que les auteurs présentent en termes de sinophilie et de sinophobie. Ils montrent ainsi que si les gouvernants sont sinophiles en raison des intérêts économiques personnels qu’ils entretiennent avec la Chine, la position des experts interrogés est plus complexe. Les principales sources de critique et/ou d’inquiétude ont trait aux questions territoriales, aux migrations ou à la souveraineté énergétique, ainsi qu’à une interrogation sur les intentions réelles de la Chine à long terme, ces craintes étant alimentées par l’opacité dans laquelle ces questions sont traitées au plus haut niveau.
Si l’on peut regretter une sociographie peu poussée des experts convoqués, l’intérêt de l’ouvrage réside, au-delà de l’analyse géopolitique, dans l’approche pluridisciplinaire qui offre différentes échelles d’analyse et permet ainsi une compréhension fine de l’évolution des sociétés centrasiatiques confrontées au retour d’un voisin longtemps ignoré.

Yves-Marie Davenel

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