Refletsdutemps consacre une chronique détaillée au dernier numéro de Politique étrangère (3/2013) – Les guerres de demain.
L’Ifri nous a habitués à cet excellent cru : partir, savamment, à l’assaut des idées qui battent la campagne et finissent en fausses certitudes. Et la revue de Politique étrangère de décaniller, chaque fois que nécessaire, ces baudruches qui garnissent journaux et débats. Le sujet de cet automne est, en cela, un remarquable millésime ; un grand Ifri : la guerre.
Qui n’a pas son idée ? de plus en plus de conflits ? la guerre ravage le monde, et celui-ci est au bord de l’explosion finale ? Faites un rapide sondage autour de vous : guerres ? plus ? moins qu’avant 40 ? mortalité humaine ? due aux guerres ? ou à d’autres facteurs ? « Oubliée ou omniprésente la guerre ? ». Résiste-t-elle ? Où ? sous quelles nouvelles formes ? Il y a fort à parier « que les conflits armés ne feront pas défaut au XXIe siècle ; notre ignorance ne porte que sur leurs métamorphoses et sur les moyens de les limiter – les gérer ».
Dès les premières pages du dossier nommé, avec un rien de provocation « la guerre a-t-elle encore un avenir ? », comme autant de frappes ; les chiffres implacables : « la plaie multiséculaire des guerres majeures entre puissances est en voie de réduction ; 27 au XVIe siècle ; 17 au XVIIe ; 10 au XVIIIe, 5 au XIXe, 5 au XXe siècle. Aucune guerre entre puissances majeures depuis 1945 ». Dans 95 % des cas, les guerres ne sont plus entre puissances, mais intra-étatiques. L’objectif n’est pas à un territoire plus grand, mais à un État plus petit… Que de « je croyais pourtant… » qui volent en éclats !
Autres tendances majeures : les guerres se déroulent dans « le sud » ; « soldats et civils sont ensemble dans le conflit ». L’article « Repenser la guerre et la paix au XXIe siècle » pose d’entrée de jeu que « le risque moyen pour un habitant de la planète d’être victime d’une guerre était au début de ce siècle de 0,4 %, alors qu’il tournait autour de 1 % entre 1945 et 1990… maladies et pandémies emportant 91 % de la sinistre compétition ».
La guerre a un avenir, mais, curieux, car « du précédent millénaire, réapparaîtrait une violence civile chaotique et destructrice, alors que s’installerait une paix entre grandes puissances où les conflits seraient contenus en deçà des affrontements militaires », laissant la part belle à la lutte économique, aux conflits des ressources – eau, matières premières, énergie, à la recherche de la maîtrise des outils de communication. Remarquable et brillante démonstration.
« La guerre toujours recommencée » tord à son tour le cou à plusieurs idées reçues et répandues à l’envi. On aimerait penser un champ de la guerre qui laisserait de plus en plus la place au Droit et à la règle, arbitré par des tribunaux internationaux. La réalité est souvent autre : « défaisance d’États, désirs de nucléarisation, réarmement de vastes régions notamment en Asie ». La bipolarité est finie ; la mondialisation dilue en terrorisant ; « l’investissement dans la détestation de l’autre comme moyen de se définir soi-même » a encore de beaux jours. « Plus les États sont modernes et détiennent des armements sophistiqués, plus leur affrontement devra être court », laissant les longs temps de guerre aux petits ou aux sous-traitants. Contrairement, nous dit cet article, à ce que nous voulons croire, « le nucléaire est toujours là », et la « dénucléarisation généralisée, un rêve ». Certes, les armes qui tuent sont en majorité classiques, mais leur régulation « n’en est qu’à ses balbutiements », et de souligner, pour exemple, le refus réitéré des États-Unis de s’engager plus avant dans la lutte contre les mines anti-personnelles.
Mais, du haut de notre mondialisation, ou globalisation, selon le terme usité, la guerre a-t-elle un avenir en termes d’image transnationale ? « Économie-monde », « guerre-monde » ; peut-on décliner ainsi dans ce domaine aussi ? C’est « le casque bleu » et le système Onusien qu’interroge l’article « Quel avenir pour les Casques bleus et le maintien de la paix ? ». C’est bien du « maintien de la paix façon ONU » qu’il s’agit, de cette curieuse articulation hélas souvent théorique entre « les résolutions » de l’organisme politique, dont les incohérences ne sont pas les moindres charmes, et le terrain aux mains de militaires, parfois anéantis par leur impuissance Kafkaïenne. Et l’article de rappeler les « états d’âme » des Morillon, et autre Briquemont, aux prises avec la FORPRONU en Bosnie, notamment. Faut-il donc définitivement tourner le dos à ces caricatures d’efficacité ? Il s’agira plutôt de « dilatation notable du registre d’action… superviser la démobilisation des milices, mettre en route un processus électoral, voire, comme au Cambodge, prendre en charge l’administration d’un pays entier… ». À cette dilatation latérale, s’ajoute une dilatation longitudinale se déclinant en termes de « prévention, d’installation, de maintien, de consolidation de la paix », tentant de protéger les civils, et, du coup, de réinterpréter le concept d’impartialité ; n’omettant pas de travailler avec l’échelon régional ou local, comme on est en train de le voir au Mali.
Mais un dossier sur la guerre du futur proche pouvait-il se passer de l’ombre devenue familière de ces robots que sont les Drones ? Interrogations techniques mais également éthiques, puisque aussi bien « la combinaison de l’aisance des frappes et de l’automaticité de la condamnation (le drone ne fait pas de prisonniers), le tout en temps de paix, dessine un paysage neuf ». Nous sommes, là, entrés dans « le quatrième âge de la guerre, après ceux des outils jusqu’à 1500 av. J.-C., des machines (1500-1830), des systèmes (1830-1945), nous voilà dans celui de l’automatisation ». 3 articles passionnants de bout en bout « s’attaquent » à cette guerre différente ; « la guerre connectée ; implications de la révolution robotique » ; « occuper sans envahir », et le très attendu « légalité et légitimité des drones armés ». Où l’on apprendra, par exemple, « que l’année dernière l’US Air force a formé plus d’opérateurs de dispositifs télé-pilotés que de pilotes de chasse et de bombardiers réunis ».
« S’il faut recommencer qu’on meurt », disait Aragon… certes, l’avenir semble pleinement ouvert…
Martine L. Petauton
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