Cette recension est issue de Politique étrangère 3/2013. Marc Hecker propose une analyse de l’ouvrage de Marc Trévidic, Terroristes. Les Sept Piliers de la déraison (Paris, JC Lattès, 2013, 220 pages).

00-Trévidic-9782709642941En 2011, Marc Trévidic décrivait dans un premier ouvrage passionnant son quotidien de juge antiterroriste ; son second opus est décevant. Un point conduit à s’interroger sur l’exactitude des informations de l’ensemble du livre. Dans le chapitre « Le piège à ours », l’auteur raconte la réception à la Maison-Blanche, en 1985, d’une délégation de moudjahidin. Sur l’événement incontestable, M. Trévidic brode : il imagine Ronald Reagan jouant « à plouf plouf » pour décider à quelle faction livrer des Stinger. Le président américain aurait délibérément fait gagner le frère d’Oussama Ben Laden. Seuls les lecteurs les plus scrupuleux – ceux qui prennent la peine de lire les notes figurant en annexes – apprendront qu’en réalité « le président Reagan n’a probablement pas joué la livraison des Stinger à “plouf plouf” ». Et si plusieurs livres d’histoire attestent de l’audience accordée aux moudjahidin, aucun ne fait état de la présence du frère de Ben Laden.
Un autre chapitre raconte l’histoire d’un médecin jordanien qui s’est fait sauter sur une base de la CIA en Afghanistan. L’histoire de ce terroriste hors norme, que les Américains pensaient avoir retourné, fascine. Mais dans les notes annexes, M. Trévidic explique qu’il a cherché à se « mettre dans la tête » du kamikaze. Il ne peut donc « affirmer que cette histoire corresponde totalement à la réalité ». Là encore, le magistrat part d’une histoire vraie – celle d’Humam al-Balawi – puis romance. Pourtant Terroristes n’est pas un roman, et le lecteur n’a pas les moyens de démêler le vrai du faux.
Fort heureusement, d’autres chapitres sont d’un meilleur calibre. Pour les plus réussis, l’auteur s’appuie sur sa longue expérience de juge pour décrire des parcours individuels d’apprentis djihadistes, comme celui de ce lycéen studieux converti à l’islam puis basculant dans la radicalité. Il passe ses jours et ses nuits sur Internet à regarder des vidéos de djihad, fréquente une mosquée salafiste, insulte sa mère qui s’habille comme une « mécréante » puis, un jour, disparaît. Quelques mois plus tard, ses parents reçoivent un appel du Moyen-Orient. Un homme les félicite : leur fils vient de mourir « en martyr ». Le jeune âge de ce « martyr » n’est pas exceptionnel : la galerie Saint-Éloi deviendrait peu à peu un « tribunal pour enfants terroristes ».
Depuis une vingtaine d’années, 175 individus ont quitté la France pour une « terre de djihad » et ont fait, au retour, l’objet d’un traitement judiciaire. S’y ajoutent ceux qui ne sont jamais revenus et ceux qui ont réussi à passer à travers les mailles de la justice. Ces voyageurs d’un type particulier sont, pour certains du moins, des Merah en puissance : environ un tiers d’entre eux revient avec des projets d’attentats.
Autre tendance peu rassurante, la diversification des profils de djihadistes. Le milieu d’origine, le degré de religiosité des parents, la réussite scolaire et le sexe ne sont plus des critères permettant de dessiner le portrait du djihadiste type. De plus en plus de femmes décident de passer à l’action. Beaucoup d’entre elles se contentent de faire de la propagande et du recrutement sur le Web. Certaines vont plus loin, à l’instar de Muriel Degauque, cette Belge convertie à l’islam qui s’est fait sauter au passage d’un convoi américain en Irak. « Nos schémas sont dépassés », conclut M. Trévidic. Quand un magistrat aussi chevronné tire ainsi la sonnette d’alarme, mieux vaut le prendre au sérieux.

Marc Hecker

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