Cette recension est issue de Politique étrangère 3/2013. Barthélémy Courmont propose une analyse de l’ouvrage de Kishore Mahbubani, The Great Convergence. Asia, the West, and the Logic of One World (New York, NY, Public Affairs, 2013, 328 pages).

00-Mahbubani-9781610390330Ancien diplomate singapourien, qui représenta notamment son pays à l’ONU, et aujourd’hui doyen de la prestigieuse Lee Kuan Yew School of Public Policy à l’université nationale de Singapour, Kishore Mahbubani s’est révélé au monde il y a une décennie avec son ouvrage Can Asians Think ?, dans lequel il développe une thèse pessimiste sur le fossé séparant les cultures et régimes politiques asiatiques et occidentaux. Considéré à plusieurs reprises par la revue Foreign Policy comme l’un des 100 intellectuels les plus influents de la planète, il aborde dans ce nouveau livre la question du rapprochement entre les peuples asiatiques et occidentaux, autour de la « logique d’un monde », caractérisé par la fin de l’opposition de mondes distincts. K. Mahbubani part du constat que les classes moyennes progressent à grande vitesse dans les pays émergents. Les comportements des consommateurs, leurs rêves et leurs craintes les rapprochent des Occidentaux, au point de faire reculer les différences d’ordre culturel ou géopolitique. Plus qu’un processus de mondialisation du sommet vers la base, c’est donc un phénomène bottom-up, de la base vers le sommet, qui caractériserait une mondialisation des comportements. Dans ce contexte, les pays asiatiques, qui voient leur PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat se rapprocher sensiblement de celui des pays occidentaux (la Chine devrait même, selon cet indicateur, dépasser les États-Unis dès 2016), entrent dans cette mondialisation par le biais des échanges universitaires, du développement des moyens de communication, ou encore de la disparition de la pauvreté et de l’accès aux biens de consommation.
Cette vision optimiste se heurte cependant, selon l’auteur, à des structures qui n’ont pas encore assimilé les profondes mutations des sociétés. Les institutions internationales, dans le domaine économique et financier surtout, devraient ainsi être réformées afin de mieux représenter les réalités contemporaines d’un monde dont le pivot s’est déplacé de l’Ouest vers l’Est, de l’aveu même de Barack Obama. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ne devraient ainsi pas rester aux mains des pays occidentaux, comme c’est actuellement la règle. De même, le Conseil de sécurité de l’ONU devrait être réformé en profondeur, afin de tenir compte des nouvelles réalités géopolitiques, en intégrant par exemple comme membres permanents des pays émergents. De manière générale, K. Mahbubani suggère que c’est l’ordre mondial qui doit être restructuré, afin de refléter les nouveaux rapports de force entre les grandes puissances, mais aussi la réalité de cette grande convergence qui n’est pas le G2 (duel entre Washington et Pékin aux accents de guerre froide) souvent annoncé par de multiples analystes. K. Mahbubani réfute par ailleurs un G0 dans lequel aucune grande puissance n’accepterait de prendre ses responsabilités, et il rejette le G20 qui, bien que plus représentatif que le G8, ne parvient plus à répondre aux défis internationaux, et à incarner une gouvernance mondiale.
Volontiers provocateur, cet ouvrage propose de réformer les institutions internationales pour les rendre plus efficaces. Si les responsabilités de la gouvernance mondiale s’ouvrent à de nouveaux acteurs gagnés par la grande convergence, les tensions entre les grandes puissances, qui paralysent trop souvent des initiatives multilatérales, seront réduites. En fin connaisseur des institutions internationales, dont il ne remet pas en cause l’existence mais critique le fonctionnement, K. Mahbubani s’invite une nouvelle fois avec force dans un débat majeur qui déterminera en grande partie les relations internationales dans les prochaines décennies.

Barthélémy Courmont

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