Cette recension est issue de Politique étrangère 3/2013. Vincent Bignon propose une analyse de l’ouvrage d’Anat Admati et Martin Hellwig, The Bankers’ New Clothes: What’s Wrong with Banking and What to Do about It (Princeton, NJ, Princeton University Press, 416 pages).
Les banquiers sont nus ! Telle est la thèse soutenue dans un livre déroutant mais puissant par Anat Admati, professeur à l’école de commerce de Stanford, et Martin Hellwig, directeur d’un centre de recherche à Bonn. En filant la métaphore du conte d’Andersen, les auteurs soutiennent que les nouveaux oripeaux des banquiers ne suffisent pas à masquer les problèmes du modèle bancaire contemporain et les risques qu’il fait peser sur l’économie.
L’entrée en matière est difficile. Le style est parfois scolaire et simpliste, ce qui surprend de la part de figures du monde intellectuel européen et américain. Les idées sont répétées plusieurs fois et l’on s’ennuie à lire les (trop) longues descriptions des turpitudes de Kate, personnage sans morale censé personnifier l’avidité des banquiers.
Mais lorsqu’on arrive à oublier le ton professoral, les idées principales semblent convaincantes et fructueuses. La thèse des auteurs est que les banques sont nues car elles ont trop peu de capital. Elles en ont beaucoup moins que les entreprises des autres secteurs. Et pour cause, seules les banques sont quasiment certaines d’être sauvées par leurs gouvernements en cas de crise. Elles empruntent à des taux très faibles auprès des banques centrales, ce qui réduit le coût de la dette et incite à émettre plus de dettes que d’actions. Cette faible capitalisation crée plusieurs effets pervers. Premièrement une fragilité structurelle face aux crises de solvabilité de leurs emprunteurs, ce qui alimente les paniques financières. Deuxièmement, la faiblesse en capital rend difficile l’absorption des pertes sur le portefeuille, ce qui conduit à une réduction de l’activité bancaire, et donc à prolonger les crises.
D’après les auteurs, cette faiblesse en capital n’est pas le fruit du hasard. Elle découle d’une volonté de verser de fortes rémunérations aux actionnaires. Pour tout autre type d’entreprise, la contrepartie est un plus fort risque de défaut. Sauf pour les banques, qui bénéficient d’une garantie publique implicite. La boucle est alors bouclée : la faiblesse en capital permet une rémunération actionnariale élevée, ce qui incite à garder un niveau faible de capitalisation et nécessite une aide publique lors des crises pour éviter l’effondrement du système financier… Pour sortir de ce cercle vicieux, A. Admati et M. Hellwig recommandent d’augmenter les ratios non pondérés de capital jusqu’à 20 ou 30 % du bilan au lieu des 2 à 3 % actuels. Les sociétés y gagneraient une sécurité financière renforcée. Les banques n’y sont pas favorables.
A. Admati et M. Hellwig plaident donc pour que l’équilibre soit rétabli en faisant pression pour une politique macroprudentielle effective. Au final, les auteurs convainquent, mais pour arriver au terme des 228 pages de texte et 170 pages d’annexes, il faut supporter d’être parfois pris pour un benêt. On peut conseiller aux lecteurs pressés de se référer au document de travail – beaucoup plus court – qui a inspiré l’ouvrage. Le gain en concision n’y altère pas la richesse des idées exposées.
Vincent Bignon
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