Dans l’édition du Monde datée du 19 janvier, Gaïdz Minassian consacre un article au n°4/2013 de Politique étrangère. Cet article est intitulé L’Europe se déconstruit par le bas.

Le_Monde_IdéesL’année 2014 ne sera pas qu’une année d’élections européennes, mais aussi celle de scrutins d’autodétermination dans quelques régions d’Etats membres de l’UE, Royaume-Uni et Espagne notamment. Ces prochains référendums en Ecosse et en Catalogne sont au coeur du dossier du dernier numéro de la revue Politique étrangère, éditée par l’Institut français des relations internationales (IFRI). Respectivement prévus le 18 septembre et le 9 novembre, ces deux scrutins relancent le débat sur l’éclatement de l’UE par le bas. En effet, outre les blocages au sommet de l’Union et les risques de replis nationaux des Etats à l’issue du scrutin européen qui aura lieu le 25 mai, l’Europe est frappée par un mouvement de déconstruction des Etats-nations, explique Dominique David, rédacteur en chef de la revue.

Comment sortir des Etats-nations et rejoindre l’UE ? Tel est la trame des quatre contributions qui privilégient les aspects juridiques de la question. Peut-on surmonter la tension entre d’un côté le rapport Etats-sociétés, et de l’autre le rapport UE-peuples ? Yves Gounin, ancien directeur adjoint de cabinet de Jean Leonetti, ministre délégué aux affaires européennes de 2011 à 2012, dénoue avec pédagogie cet imbroglio. Car les textes européens n’ont jamais prévu la scission d’un Etat membre, pas plus que l’adhésion d’une entité scissionniste à l’UE. Selon lui, tous les outils juridiques sont inefficaces. La convention de Vienne du 22 août 1978 sur la succession d’Etats est inapplicable. Madrid, Bruxelles et Londres ne l’ont pas signée. Le principe de la coutume, qui repose sur les précédents internationaux, ne répond que partiellement à la spécificité de l’UE. Même le droit communautaire n’offre pas de solution durable, puisqu’il accorde aux Etats-nations concernés un droit de veto sur l’adhésion à l’UE de toute entité sécessionniste.

Les obstacles sur la route de l’indépendance de l’Ecosse, la Catalogne et la Flandre sont d’autant plus nombreux que les populations ne sont pas convaincues par la stratégie de leurs élites. En Ecosse, explique Keith Dixon, professeur de civilisation britannique à l’université Lyon-II, le « oui » a peu de chances de l’emporter. Le recours au référendum sert donc plus de moyen de pression sur Londres pour obtenir davantage de transferts de pouvoir. En Catalogne, les autorités centrales espagnoles font leur maximum pour empêcher la tenue du scrutin, analysent Carles Boix, membre du Conseil consultatif pour la transition nationale du gouvernement de la Généralité de Catalogne, et J. C. Major, responsable du site Internet Explaining Catalonia. En Belgique, les élections législatives du printemps 2014 ne seront pas l’occasion d’un plébiscite en faveur du séparatisme, prédisent Christian de Visscher et Vincent Laborderie, chercheurs à l’université de Louvain. La solution confédérale pouvant servir de palliatif à l’indépendance, selon eux.

Ces régions ont toujours vu dans l’UE une alliée contre les Etats membres. Elles attendent du politique de dépasser le clivage entre souveraineté des Etats et autodétermination des peuples. « La solution la plus raisonnable serait de négocier simultanément l’indépendance et l’adhésion à l’UE », propose Yves Gounin pour régler le litige. Le débat est loin d’être fini : Basques, Lombards, Corses et Irlandais sont à l’affût. Car, tant qu’il n’existera pas de « peuple européen », le contrat social entre les populations et l’UE, d’une part, et les sociétés civiles et les Etats d’autre part restera vulnérable. Et seule une Union plus politique sortira par le haut l’Europe de cette crise.