Cette recension est issue de Politique étrangère 3/2013. Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage d’Anton Hemerijck, Changing Welfare States (Oxford, Oxford University Press, 480 pages).

00-HemerijckCet ouvrage nous offre une remarquable étude théorique et empirique de l’État providence en Europe. Sa force tient essentiellement à la capacité de son auteur à mobiliser sa vaste connaissance du sujet et à présenter des données statistiques pertinentes en vue d’analyser très finement l’évolution de l’État providence et de dégager ses forces et ses faiblesses. A. Hemerijck décrit d’abord les vecteurs de mutation de l’État providence au cours des trois dernières décennies. Ils sont de cinq ordres : exogène, endogène, historique, supranational et politique. La pression extérieure résulte de la concurrence internationale accrue, de la dérégulation et, plus récemment, de la mise en place de politiques d’austérité. L’auteur montre ainsi dans quelle mesure l’essor des idées néolibérales a entamé la fonction redistributive de l’État providence. Les évolutions sociales et démographiques – allongement de la durée de vie, développement du travail féminin, fin progressive du monde industriel, demande croissante de services de santé – ont refaçonné les sociétés européennes de l’intérieur. En parallèle, celles-ci ont été confrontées à certaines « forces d’inertie » que sont les politiques en faveur des chômeurs, des invalides ou des retraités. Les deux derniers vecteurs de changement sont l’influence grandissante des règles communautaires européennes, et l’avancée rampante du populisme depuis les années 2000.
Dans un second temps, A. Hemerijck aborde la question fondamentale de la viabilité de l’État providence en considérant que « l’investissement social » est soutenable s’il permet in fine d’accroître l’employabilité et la productivité. Il appuie son argumentation sur l’expérience des différents États européens. Pour lui, les pays scandinaves ont le modèle d’État providence le plus abouti : ils ont réussi à contenir le creusement des inégalités et la hausse du chômage tout en maîtrisant leurs comptes publics. Les pays anglo-saxons n’ont pas su lutter contre les inégalités tandis que les États continentaux, en particulier la France et la Belgique, ont un taux d’emploi trop faible. Enfin, les pays d’Europe du Sud ont clairement des politiques sociales coûteuses et défaillantes, surtout en matière d’éducation. Ces distinctions sont précieuses car elles montrent à quel point la notion d’État providence est protéiforme.
Les derniers chapitres du livre s’interrogent sur l’avenir de l’État providence. Les réponses sont habiles et nuancées. Faisant siennes les conclusions du rapport de 2009 de J. Stiglitz, A. Sen et J.-P. Fitoussi sur la mesure de la performance économique et du progrès social, A. Hemerijck estime que les politiques économiques ne sauraient être jugées à l’aune exclusive de la croissance du PIB. Puis il constate que, depuis le début de la crise des dettes souveraines en 2009, l’espace social européen s’est avéré plus résilient que l’espace économique. Il en conclut que l’amélioration des règles de gouvernance de l’Union européenne est une priorité. Enfin, il dresse un constat lucide sur la dichotomie inquiétante entre des économies européennes de plus en plus mondialisées et des enjeux politiques encore largement nationaux. Il préconise donc de relancer une dynamique du marché unique à bout de souffle. Pour lui, il est temps de faire de l’Union une véritable « économie sociale de marché hautement compétitive », en s’inspirant des réformes du Danemark, de la Suède et de la Finlande des années 1990. Ce message d’optimisme est crédible quand on voit comment les pays scandinaves ont su limiter les effets de la crise économique et financière depuis cinq ans.

Norbert Gaillard

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