Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2013). Guillaume Garnier propose une analyse de l’ouvrage de François Cochet, Être soldat ; De la révolution à nos jours (Paris, Armand Colin, 2013, 288 pages).

être soldatFrançois Cochet est professeur d’histoire contemporaine, spécialiste de l’histoire des représentations militaires et de l’expérience combattante ainsi que de l’histoire de la captivité de guerre. Il nous propose ici une étude fouillée sur le métier militaire, considéré principalement sous les angles éthique et sociologique.

La première qualité de l’ouvrage réside dans son esprit de synthèse, qui ne le cède en rien à la précision : l’auteur peut voyager à travers plusieurs siècles en seulement quelques pages, sans s’abandonner aux simplifications abusives. François Cochet, à l’évidence, connaît bien le monde militaire, y compris dans son intimité sociétale. Il en résulte une analyse très fine sur les valeurs de ce milieu, sa culture en tant qu’institution, ses rapports avec le reste de la société, ses écoles de formation. Il y a quelque chose du Vigny de Servitude et grandeur militaires dans ce livre.

L’originalité de l’ouvrage est d’apporter une image nuancée du monde militaire. François Cochet nous retrace le tronc commun de l’éthique militaire, centré sur le rapport à la mort (pouvoir de la donner au nom des intérêts de la Nation, devoir d’en accepter le risque pour soi-même), sur l’indispensable esprit de discipline, ainsi que sur les sentiments d’honneur et de camaraderie. Au-delà de cet aspect consensuel, il souligne opportunément les fluctuations plus complexes de ce milieu sur le plan des idées politiques, du prestige qui lui a été accordé par la société, du rôle qu’il estimait devoir jouer au sein de la Nation. Par exemple, l’armée de la Révolution et de l’Empire est perçue à l’époque comme une institution de gauche, et donc objet de suspicion sous la Restauration ; ce n’est que plus tard qu’on lui accolera une étiquette de droite (Second Empire). La question de la professionnalisation des forces armées a également connu des allers-retours, sur lesquels l’auteur revient avec pédagogie. Même des sujets comme la colonisation n’ont pas, ainsi qu’on le croit souvent, suscité un enthousiasme unanime de la part de l’armée, au début de l’aventure tout au moins. S’agissant de la société française, François Cochet nous décrit les oscillations concernant les sentiments militaristes et antimilitaristes qui ont pu, eux aussi, faire des va-et-vient dans un même milieu social.

En cela, François Cochet bouscule nombre d’idées reçues avec des arguments bien étayés. Il revient avec beaucoup de nuances sur les crises douloureuses auxquelles l’armée a été mêlée, à des degrés divers (coups d’État du 18 Brumaire ou du 2 décembre 1851, crise boulangiste, affaire Dreyfus, affaire des fiches, putsch d’Alger). Ce faisant, il parvient à balayer tout manichéisme dans la perception rétrospective que l’on peut avoir de ces événements

Enfin l’auteur rappelle, s’il en était besoin, que par-delà les vicissitudes de notre histoire mouvementée des deux derniers siècles, l’armée, en tant qu’institution, s’est toujours révélée légaliste, peu encline par nature aux pronunciamientos. Le côté « Grande Muette » est peut-être aujourd’hui l’originalité ultime de cette institution, à l’heure de la communication de masse où il importe à chacun d’exprimer son point de vue.

Guillaume Garnier

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