Mass FlourishingCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2014). Vincent Bignon propose une analyse de l’ouvrage de , Edmund S. Phelps, Mass Flourishing. How Grassroots Innovation Created Jobs, Challenge, and Change, (Princeton, NJ, Princeton University Press, 2013, 392 pages).

Les sociétés développées sont menacées par le corporatisme, un système où les distorsions de concurrence visant à protéger les entreprises leaders sur leur marché détournent l’individu de son envie profonde de réalisation de soi par la création et l’innovation. La thèse de l’auteur a le mérite du panache. Le livre propose un cadre analytique qui dissèque les causes de la croissance économique de longue durée et insiste sur les conditions sociales préalables nécessaires au fleurissement d’idées, de nouvelles façons de vivre et de produire. L’ambition est d’être à la hauteur de Joseph Schumpeter ou de John Kenneth Galbraith et de montrer que ces idées sont pertinentes pour expliquer l’histoire économique des États-Unis ou de l’Europe au cours des trois derniers siècles.

À revers des théories de Schumpeter, la première partie du livre s’attache à expliquer pourquoi le progrès technique s’explique avant tout par un système social d’innovation où la recherche de nouveauté est, plus que la science, moteur de l’invention. Le premier chapitre est particulièrement à recommander, par sa maîtrise des théories de l’innovation et l’originalité de ses intuitions. Edmund Phelps identifie une phase de capitalisme pur qui coïncide avec la période séparant la Renaissance de la fin du xixe siècle. La deuxième partie tente de démontrer combien le corporatisme, entendu comme la mise en place délibérée de barrières à l’entrée et de freins à la concurrence entre firmes, s’accommode et se nourrit du socialisme, c’est-à-dire de la recherche par les salariés de protection sociale et de revenu garanti. L’auteur pense que cela correspond au xxe siècle. La dernière partie étudie le déclin des économies occidentales – amorcé dans les années 1970 aux États-Unis et dans les années 1990 en Europe – et renvoie dos à dos des conservateurs avides de baisse d’impôts et des progressistes prompts à étendre les droits sociaux. Le dernier chapitre propose une discussion stimulante mais pas nécessairement originale sur le sens de la vie et son articulation avec l’économie et la redistribution.

Le livre de Phelps est à la fois un essai réussi et une démonstration peu convaincante. Les deux tiers de Mass Flourishing ressemblent à de la littérature économique de salon, avec ce qu’il faut de traits d’esprit, et même parfois de remarques justes. Mais cette légèreté l’éloigne trop de la clarté analytique et historique. Si l’opposition entre corporatisme et capitalisme est fructueuse, l’auteur échoue à distinguer socialisme et corporatisme et leurs dynamiques politiques et économiques propres. Il est difficile de croire à ses propositions de changements de politiques économiques et sociales – comme lorsqu’il appelle à réduire la culture de l’autosatisfaction après avoir longuement présenté la réalisation de soi comme la condition nécessaire à l’innovation.

L’intérêt du livre est sa vision suffisamment provocatrice pour donner à penser. On regrette cependant la présence d’inepties (« Les jeunes filles font des bébés comme on a des animaux familiers, pour renforcer leur importance ») ou d’approximations, voire de faussetés historiques (« Il n’y avait pas de Constitution en Italie, et nulle part en Europe [en 1925] »). Phelps est intéressant quand il raisonne comme un économiste mais peu convaincant quand il fait l’historien ou le moraliste. À lire si l’on rêve de fréquenter un salon littéraire : l’ouvrage fournit toutes les répliques sur les causes de la stagnation des économies contemporaines.

Vincent Bignon

 

S’abonner à Politique étrangère

Acheter le numéro 2/2014 de Politique étrangère