consensusCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2014). Claudia Hulbert propose une analyse de l’ouvrage de Justin Yifu Lin, Against the Consensus. Reflections on the Great Recession, (Cambridge, Cambridge University Press, 2013, 276 pages).

Justin Yifu Lin, ancien économiste en chef à la Banque mondiale, signe un livre captivant qui remet en cause plusieurs piliers de l’analyse économique moderne. En analysant en profondeur la crise économique actuelle, l’auteur parvient à trois conclusions majeures.

Premièrement, les raisons habituellement invoquées pour expliquer la récession ne sont pas assez fondées. L’auteur s’oppose à l’idée répandue selon laquelle ce sont les différentiels de balances courantes (et en particulier les surplus importants en Asie du Sud-Est) qui, via des achats massifs de bons du Trésor américain, ont provoqué une pression à la baisse sur les taux d’intérêt aux États-Unis, entraînant une bulle du crédit. Pour lui, la dérégulation financière des années 1980, aux États-Unis puis en Europe, a généré de larges augmentations de liquidités qui ont nourri la bulle immobilière, gonflé la consommation et entraîné de larges déficits courants et des flux de dollars vers l’étranger. Le lien de causalité serait donc en quelque sorte inversé.

Deuxièmement, les théories récentes du développement seraient inadaptées à l’évolution actuelle de l’économie mondiale. Les pays ayant véritablement décollé économiquement depuis la Seconde Guerre mondiale ont suivi une double stratégie de soutien aux exportations et de protection des industries jugées prioritaires. Un modèle de développement adapté pourrait donc reposer sur une stratégie d’avantages comparatifs renforcée par un schéma de flying geese (littéralement : « oies volantes »), selon lequel des pays proches copient un pays à succès.

Enfin, le système monétaire international, du fait de la place déclinante des États-Unis dans l’économie globale, doit être revu en profondeur si l’on veut garantir sa stabilité. Un système fondé sur de multiples monnaies de réserve (au lieu du seul dollar) apparaît lentement. Mais une telle architecture serait par essence instable : une faiblesse dans un pays dont la monnaie entrerait dans le système international provoquerait des mouvements de capitaux massifs.

Fort de ces analyses, l’auteur propose deux politiques audacieuses pour mettre un terme à la crise actuelle et assurer la stabilité du système monétaire international. Une grande politique d’investissement, financée en particulier par les pays développés et à destination des pays en développement où la productivité marginale est plus élevée, qui profiterait à l’ensemble de l’économie mondiale. Des banques multilatérales de développement, chargées de sélectionner les projets les plus intéressants, pourraient s’assurer de leur rentabilité et les rendre attractifs aux yeux des investisseurs privés. Ces investissements stimuleraient la croissance et les importations des pays en développement, mais rendraient également des marges de manœuvre suffisantes aux pays développés pour conduire des politiques structurelles efficaces.

Le nouveau système monétaire mondial reposerait, plus que sur plusieurs monnaies, sur une devise créée spécifiquement à cet effet (paper gold). Elle-même reposerait sur une institution internationale indépendante chargée de sa supervision et chaque monnaie domestique serait définie avec un taux de change fixe par rapport au paper gold. Cette solution permettrait d’éviter les inconvénients de l’étalon-or, le stock de monnaie n’étant pas fixe.

Against the Consensus est ainsi un livre qui va à l’encontre de nombreuses idées reçues et propose des solutions innovantes à la crise actuelle.

Claudia Hulbert

 

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