Cette recension d’ouvrages est issue de Politique étrangère (2/2015). Jérôme Marchand propose une analyse de l’ouvrage de Jessica L.P. Weeks, Dictators at War and Peace (Ithaca, NY, Cornell University Press, 2014, 247 pages).
Concis et bien documenté, cet ouvrage éclaire les différences de comportement entre systèmes autoritaires quant au recours à la force armée pour résoudre les conflits internationaux. Dépassant l’opposition conventionnelle entre dictatures belliqueuses et démocraties pacifiques, l’auteur ouvre son analyse à des éléments couramment négligés, tels les mécanismes de contrôle et de sanction pré- ou post-conflit auxquels sont ou non exposés les décideurs de premier rang, les systèmes d’évaluation qu’ils utilisent, ou encore les dispositions et les ressources des audiences domestiques susceptibles de leur demander des comptes en cas de déconvenue ou de défaite. Manière de dire que la structure d’un régime détermine la manière dont ses dirigeants appréhendent les retombées potentielles de leurs initiatives militaro-diplomatiques, et gèrent les rapports de forces endogènes et exogènes.
À partir de ce constat, Jessica L.P. Weeks distingue quatre formes de directions autoritaires : deux à dominante collective (appareils civils et juntes) et deux à dominante individuelle (leaders civils et « hommes forts » galonnés). Elle s’applique ensuite à revisiter l’histoire d’un ensemble de conflits militaires, de l’affrontement URSS-Chine en 1929 jusqu’à l’invasion de l’Irak en 2003. Ce travail comparatif a pour fonction de déterminer qui a pris l’initiative des hostilités, quelle a été l’issue des affrontements armés et dans quelle mesure la défaite a entraîné des changements de personnels à la tête de la puissance vaincue. Il en ressort que les autocraties et les juntes sont nettement plus enclines à déclencher des interventions armées que les appareils gouvernés par un collège d’apparatchiks. Plus expérimentés, plus diversifiés dans leur recrutement, plus nuancés dans leurs jugements, ces derniers se montreraient aussi plus ouverts et flexibles quant au choix des options stratégiques. Autre enseignement notable, les leaders civils et les « hommes forts » galonnés auraient une nette propension à mésestimer les risques de défaite militaire, mais ces défauts de jugement caractérisés ne seraient que rarement suivis d’une éviction du pouvoir, à la différence de ce qui se produit pour les dirigeants trop téméraires dans les systèmes à dominante collective.
Aux yeux de l’auteur, si ces éclairages permettent de mieux décoder les logiques d’action des régimes autoritaires, ils ne dispensent pas d’analyses individuelles tenant compte de la trajectoire des autocrates, de leur profil psychologique, de leurs perceptions et de leurs préférences, et intégrant le fait que la déliquescence des contrôles externes favorise la libération du pulsionnel et du fantasmatique. À l’appui de ses réflexions, Jessica Weeks produit six études de cas traitant de l’invasion du Koweït en 1990, des initiatives de Staline entre 1938 et 1940, de la guerre des Malouines, des guerres d’expansion livrées par le Japon entre 1931 et 1941, des combats livrés par le Nord-Vietnam contre les États-Unis, le Sud-Vietnam et le Cambodge des Khmers rouges, et enfin des conduites de l’URSS post-stalinienne. Bien choisis et documentés, ces exemples souffrent d’un traitement linéaire et auraient gagné à soulever quelques hypothèses dissonantes. On peut par ailleurs déplorer certains manques dans l’index de fin d’ouvrage. Ces petites réserves exprimées, Dictators at War and Peace justifie une lecture attentive.
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