Cette recension est issue de Politique étrangère (1/2016). Jean-Loup Samaan propose une analyse de l’ouvrage de William McCants, The ISIS Apocalypse: the History, Strategy, and Doomsday Vision of the Islamic State (New York, St. Martin’s Press, 2015, 256 pages).
En l’espace de deux ans, l’État islamique (EI) a généré une abondante littérature. Cet ouvrage propose de mettre en lumière une dimension peu ou mal comprise de l’organisation : sa rhétorique apocalyptique. McCants prend soin de souligner la particularité tant idéologique qu’opératoire de l’EI : le groupe est en effet le premier acteur depuis la chute de l’Empire ottoman à prétendre au statut de califat.
Il en ressort plusieurs clés de compréhension de l’EI. Tout d’abord, si l’EI est bien un descendant d’Al-Qaïda en Irak, sa stratégie s’en est dès le début distanciée. Ainsi, rappelle l’auteur, Ben Laden et Zawahiri ne proclamèrent jamais un califat qui devait, à leurs yeux, n’advenir qu’une fois les musulmans rassemblés contre l’impérialisme occidental. De plus, les attaques visant directement des musulmans en Irak et Syrie étaient jugées contre-productives par les leaders d’Al-Qaïda. L’EI, pour sa part, n’hésite pas à conquérir ses territoires par une campagne de terreur, et non de séduction, des populations.
Cela nous conduit à un phénomène particulièrement intéressant vers 2013-2014. L’émergence de l’EI et son ralliement par de nombreux djihadistes d’Al-Qaïda ont été entourés de débats internes et de controverses relayés par les réseaux sociaux, comme jamais cela n’avait été le cas dans l’histoire du terrorisme islamiste. Alors qu’Al-Qaïda prenait soin de contrôler les dissensions internes, les allégeances à Daech et les critiques à l’égard des autres mouvements (Jabhat Al-Nusra notamment) furent largement diffusées et discutées sur la toile. Il s’agit là aussi d’une dimension fondamentale de l’EI : son attention méticuleuse apportée à la propagande de masse.
Pour autant, le succès médiatique de cette campagne de l’EI et le flux sans précédent de combattants à ses côtés ne peuvent se comprendre sans la rhétorique apocalyptique qui l’entoure. McCants détaille celle-ci, en montrant comme la proclamation du califat, les références à « Rome », ou encore la mention de la ville syrienne de « Dabiq », sont autant d’éléments s’appuyant sur une croyance en la fin des temps annoncée dans les textes sacrés. L’auteur souligne comment cette eschatologie de l’EI émerge à la suite des révolutions arabes, qui ont elles-mêmes engendré de nombreuses théories populaires sur la fin des temps.
Dans le même temps, McCants souligne bien aussi la lecture cursive des textes sacrés par les idéologues de l’EI. Les crimes infligés et leur mise en scène sont ainsi justifiés par des références contestables à des hadiths tandis que toute contradiction possible est écartée – notamment sur l’interdiction de fumer qui ne trouve tout simplement aucun fondement dans le corpus religieux. Parce que ce messianisme s’ancre dans une lecture biaisée de l’islam, le discours de l’EI attire des masses de jeunes enclins à se sacrifier pour des idées, ou autrement fascinés par la symbolique apocalyptique.
Au-delà, la grande question qui subsiste à la fin de l’ouvrage est celle de la rationalité de l’EI : comment concilier la foi en une fin des temps islamique et la rationalité que suppose l’exercice du pouvoir sur des territoires ? La question est un défi tant pour l’organisation elle-même – qui cherche à préserver ses conquêtes – que pour la France et ses alliés – qui cherchent à détruire le groupe.
Jean-Loup Samaan
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