Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Victor Magnani, chercheur à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Jeffrey Herbst et Greg Mills, How South Africa Works and Must Do Better  (Hurst & Co., 2016, 256 pages).

How South Africa Works

Au lendemain de l’apartheid, l’Afrique du Sud voulait rassurer opérateurs économiques et marchés financiers. Il fallait concilier les impératifs économiques en termes de croissance et d’emploi avec ceux de la transformation d’une société minée par des décennies de ségrégation. Les améliorations sont indéniables quant à l’accès à l’éducation, à la santé, au logement, à l’électricité et à l’eau courante. Mais plus de 20 ans après les premières élections libres et démocratiques, l’économie sud-africaine paraît vulnérable et les réalisations sont clairement en deçà des attentes, notamment concernant les inégalités et l’emploi. Le taux de chômage officiel s’élève à plus de 25 % et concerne principalement les jeunes et les populations noires : immense défi que les autorités n’ont su résoudre à ce jour.

Les auteurs tentent d’expliquer cette situation en dressant un tableau de la détérioration des indicateurs de gouvernance et de compétitivité du pays. Ils pointent pêle-mêle les conséquences de politiques publiques hésitantes, d’une administration étatique corrompue, d’une qualité d’enseignement public déficiente, de taux d’investissements publics et privés relativement faibles, et de larges déficits publics. Ce n’est pas une surprise pour qui s’intéresse aux questions sud-africaines, mais les exemples choisis (comme les dysfonctionnements de la société de production et de distribution d’électricité Eskom) servent d’illustrations précises et convaincantes. Le mérite de cet ouvrage est de traiter des principaux secteurs de l’activité économique du pays avec une information dense et structurée autour de chapitres clairement balisés (l’agriculture, les services, l’industrie, le secteur minier, l’éducation…).

Bien que critiques vis-à-vis de l’état de l’économie sud-africaine, les auteurs demeurent optimistes et entendent donner des pistes de réflexions, voire des recommandations concrètes pour surmonter ce qu’ils nomment « la paralysie d’aujourd’hui ». Les recettes préconisées relèvent d’une idéologie libérale classique, à savoir la déréglementation des marchés, la flexibilisation du travail, et une réduction des aides sociales que les finances du pays n’autoriseraient plus.

On regrettera l’absence d’une réflexion plus approfondie sur la structure économique extrêmement inégalitaire de l’Afrique du Sud, directement héritée de la période d’apartheid. Mais au-delà de la posture idéologique, la démarche méthodologique consistant à réaliser des entretiens quasi exclusivement avec des entrepreneurs, sans jamais relayer la voix des organisations syndicales ou des travailleurs, est discutable. Les conditions de travail très rudes et précaires, notamment dans les mines et les champs agricoles, ne sont ainsi abordées qu’à la marge. L’approche par le haut utilisée par les auteurs ne permet pas de saisir les déceptions quant à la transformation sociale et économique exprimées par une part croissante de la population depuis l’avènement de la démocratie. Les résultats des dernières élections locales, les grèves et les fragmentations syndicales, les manifestations quasi quotidiennes réclamant un accès aux services publics, ainsi que les mobilisations en cours dans les universités sud-africaines, invitent pourtant à ne pas négliger des approches par le bas pour avoir une vision complète et nuancée de comment « fonctionne l’Afrique du Sud » – ambition annoncée par le titre de l’ouvrage.

Victor Magnani

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