Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Thierry Mathou, ambassadeur de France aux Philippines et ancien ambassadeur en Birmanie, propose une analyse de l’ouvrage de Renaud Egreteau, Caretaking Democratization: The Military and Political Change in Myanmar (Hurst & Co., 2016, 200 pages).
Spécialiste de la Birmanie, Renaud Egreteau décrypte le « printemps birman » (2010-2015), séquence unique dans l’histoire des régimes en transition. Mus par de multiples ressorts, dont des facteurs propres à la structure prétorienne du régime birman, la dissolution de la junte (mars 2011) et son remplacement par un système hybride incarné par le gouvernement semi-civil du président Thein Sein étaient planifiés par les militaires qui ont esquissé, dans une feuille de route élaborée dès 2003, un « pacte de transition » avec la Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi et des représentants des groupes ethniques et de la société civile, dans le cadre d’un processus dont ils sont restés les gardiens grâce à une constitution taillée sur mesure.
Bien que la notion de « pacte » doive être nuancée, elle suggère l’existence d’un processus transactionnel qui a permis une évolution à l’origine d’avancées réelles : légalisation des oppositions, instauration du multipartisme, libération des prisonniers politiques, libéralisation de l’information, expansion de la société civile. La renaissance du parlementarisme, bien qu’en apprentissage, n’a pas été le moindre des progrès de cette période parcourue d’un vent d’optimisme qui a conduit la communauté internationale à lever la plupart des sanctions imposées à la Birmanie.
La libéralisation du régime ne s’est pas pour autant accompagnée d’une démilitarisation totale de l’appareil d’État, dont les principaux verrous institutionnels, comme la minorité de blocage instaurée au parlement, sont restés aux mains de l’armée dont les députés ont joué le rôle de garants de la constitution. Loin d’apaiser les tensions, l’ouverture a révélé des clivages anciens. Malgré un processus de paix réamorcé en 2011, les problèmes ethniques, clé de la question birmane, elle-même dépendante de la répartition des droits économiques et politiques dans une société très inégalitaire, se sont multipliés. Libérées de la chape imposée par la dictature, la montée du communautarisme et l’instrumentalisation du nationalisme bouddhiste par des groupes radicaux réagissant à la lancinante question des Rohingyas, ont remis la religion au cœur des enjeux identitaires, à l’origine des graves affrontements de 2011-2012.
Certains des fondamentaux de la réalité birmane ont continué à peser comme autant de défis au processus de transition. Sur le plan intérieur, la structure oligopolistique de l’économie, la permanence du clientélisme et ses corollaires : la personnalisation de la vie politique, la faiblesse des corps intermédiaires autres que l’armée, ainsi que le morcellement de la scène politique, notamment sur le front ethnique, sont apparus comme des facteurs dirimants. Même si les sanctions de la communauté internationale n’ont pas directement dicté l’orientation des militaires birmans, la situation stratégique de la Birmanie, entre Chine et Inde, est pour beaucoup dans les dilemmes du pays.
Dans un contexte particulièrement complexe qui disqualifie toute analyse manichéenne, les années qui ont suivi la dissolution de la junte ont été la première étape d’un processus de transition que l’auteur décrit comme une « glasnost sans perestroïka » : une libéralisation du système qui ne s’est pas doublée de la restructuration de l’État et de la société sans laquelle la démocratisation est restée inachevée. Tel n’est pas le moindre des défis que le nouveau gouvernement birman doit désormais relever.
Thierry Mathou 1
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