Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017).
Émilie Frenkiel propose une analyse de l’ouvrage de Stéphanie Balme, Chine, les visages de la justice ordinaire (Presses de Sciences Po, 2016, 336 pages).
Dans cet ouvrage qui se veut synthétique et pédagogique sur l’évolution de la justice depuis la fin de la Révolution culturelle, Stéphanie Balme rassemble le fruit de plusieurs années de recherches et d’enquêtes de terrain. Elle y dresse un bilan contrasté : malgré la modernisation et l’importation du droit positif et l’importante place du droit dans la société chinoise (explosion des publications juridiques, conscience du droit, mouvement de défense des droits), on observe « des écarts béants » entre le discours officiel omniprésent sur l’importance du droit et du principe constitutionnel de « gouvernement conforme au droit » (yifa zhiguo), et la réalité. La pratique juridique, encore ancrée fortement dans les traditions impériale et socialiste, se caractérise par une forte dépendance vis-à-vis des pouvoirs législatif et exécutif, un rapport punitif au droit, un recours régulier aux procédures parajudiciaires (telle la médiation traitée au chapitre 4).
Les deux premiers chapitres sont consacrés aux principales étapes de la transformation juridique des 40 dernières années. Après le maoïsme et sa conception d’une justice populaire de masse peu encline aux procédures formelles, ce n’est que dans les années 1990 que la justice redevient une priorité pour la Chine, avec des réformes juridiques pragmatiques et expérimentales élaborées par un parti scientiste souhaitant répondre aux nouvelles attentes sociales.
Malgré un processus de modernisation, passant par la normalisation, la professionnalisation et l’informatisation de la justice chinoise, le Parti communiste chinois refuse les principes et les mécanismes techniques (autonomisation de la justice, hiérarchie des normes constitutionnellement garantie, etc.) au fondement de l’élaboration d’un état de droit.
L’explosion du nombre de litiges civils (8 millions par an), instrument de contestation, témoigne d’un meilleur accès à la justice pour les justiciables, mais cette dernière est totalement soumise aux contingences des pouvoirs locaux et centraux, qui s’assurent que chaque décision de justice est politiquement correcte et socialement acceptable (chapitre 3). L’auteur décrit également le populisme judiciaire qui consacre le pouvoir de l’opinion publique, surtout en ligne. Le chapitre 5, consacré aux réformes de la justice pénale, présente un autre angle de ces évolutions contrastées : de réelles améliorations sont à noter concernant la justice des mineurs et la réduction du nombre de condamnations à la peine capitale, en même temps que le pouvoir dont bénéficient encore les organes de la sécurité publique, notamment dans le cas de détentions en résidence surveillée, autorise tous les abus. En effet, si le crime de « contre-révolutionnaire » a été retiré de la loi pénale en 1997, c’est pour être remplacé par celui d’ « atteinte à la sécurité de l’État ». La philosophie pénale est restée centrée sur la nécessité de sauvegarder l’ordre public, et les termes vagues utilisés par la loi de procédure pénale permettent des décisions arbitraires. De plus, la prégnance de la culture de l’aveu limite l’efficacité des mesures pour lutter contre l’usage de la torture.
Ce panorama se clôt sur l’impossibilité d’une justice constitutionnelle en Chine, du fait de la censure de son patrimoine constitutionnel pourtant riche, et de la répression infaillible (dont témoigne le décès du principal signataire de la charte 08 lors de la rédaction de cette recension) des rares avocats, juristes et autres militants critiquant l’état de droit minimal prôné par le constitutionnalisme officiel.
Émilie Frenkiel
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