Alors que le procès de Salah Abdeslam s’est ouvert à Bruxelles, nous vous proposons de (re)lire l’article de Sébastien Boussois, « Lutte contre le terrorisme : la Belgique, maillon faible ? » publié dans le numéro d’hiver 2017-2018 de Politique étrangère.

« Les attentats de Paris (13 novembre 2015) et Bruxelles (22 mars 2016) ont mis à jour les connexions franco-belges existant depuis des décennies en matière de terrorisme.

Pour certains commentateurs, la Belgique serait bien devenue une base arrière du terrorisme international. C’est en effet à Bruxelles que les attentats de Paris ont été préparés par la filière Abaaoud pour frapper la capitale française au Bataclan, au Stade de France et sur les terrasses de l’Est parisien. Le Belgium bashing s’est répandu après ces attentats. Le fait que Bruxelles ait ensuite été touchée n’a pu atténuer les soupçons, les renforçant bien au contraire.

La Belgique est-elle vraiment le maillon faible européen dans le domaine de la lutte contre le terrorisme ? Depuis les attaques de 2015 et 2016, la France a elle-même opéré une introspection sur les faiblesses de son système de prévention et de renseignement. La Belgique ne peut être tenue pour seule responsable. Des difficultés comparables se retrouvent sur les deux rives du Quiévrain : sous-financement des autorités locales et du personnel éducatif et social, absence de véritable stratégie de prévention de la radicalisation, déperdition du renseignement collecté à l’échelon local, etc. Des causes spécifiquement liées à la complexité du système politique belge peuvent néanmoins être identifiées, comme l’a montré une commission d’enquête parlementaire chargée d’éclaircir les responsabilités et de faire des propositions pour renforcer « l’architecture de sécurité belge ».

Belgique et terrorisme international : une histoire ancienne

Les liens entre la France et la Belgique, en matière de terrorisme, sont anciens. En 1995, lors de la vague d’attentats attribuée au Groupe islamique armé (GIA) algérien, des débris d’une bonbonne de gaz retrouvée à la station Saint-Michel à Paris permettent aux enquêteurs de remonter jusqu’au nord de la France, puis en Belgique.

L’année suivante, c’est l’affaire du « gang de Roubaix » qui terrorise la région. Proche d’Al-Qaïda, cette bande regroupe des convertis à l’islam partis en Bosnie pour défendre les musulmans bosniaques. Ses membres, passés par la Belgique et Molenbeek, commettent meurtres et braquages. Christophe Caze, l’un des cerveaux du groupe avec Lionel Dumont, est finalement tué en Belgique.

Autre fait reliant la Belgique à Al-Qaïda : le 9 septembre 2001, le commandant Massoud, leader de la résistance aux talibans en Afghanistan, est assassiné, deux jours avant les attentats du World Trade Center et du Pentagone ; certains membres du commando meurtrier sont passés par Molenbeek. En 2004, on réalise que les concepteurs des attentats de la gare d’Atocha à Madrid sont aussi passés par Molenbeek. Cette commune apparaît déjà comme un carrefour du terrorisme islamiste. Mehdi Nemmouche, le Français responsable de l’attentat du Musée juif de Bruxelles en mai 2014, avait acheté ses armes à Molenbeek, tout comme Amedy Coulibaly, responsable de la tuerie de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes en janvier 2015. Puis viennent les attentats de novembre 2015 et mars 2016, préparés pour partie à Molenbeek.

Forces et faiblesses du Belgium bashing

La Belgique et la France vivent des drames comparables. Ce sont les deux pays européens les plus touchés par les filières d’envoi de djihadistes au Moyen-Orient. La France compte en effet le contingent le plus important en valeur absolue, tandis que la Belgique est le pays le plus affecté au prorata de sa population. Plus de 450 Belges – pour une population de 11 millions d’habitants – ont rejoint des groupes djihadistes en Syrie ou en Irak. Des chiffres plus importants – jusqu’à 600 – sont parfois mentionnés : ils incluent les ressortissants étrangers ayant vécu en Belgique. La diversité des profils des personnes radicalisées montre que la Belgique n’est pas un cas à part, et qu’il ne suffit plus de se concentrer sur une population jeune, désœuvrée, issue de l’immigration, sans diplôme, en rupture familiale et ayant grandi dans des quartiers populaires.

En Belgique, le « Molenbeekistan » fait l’objet de toutes les attentions, alors que la radicalisation a aussi pris corps en région flamande, à Anvers et Vilvorde. La radicalisation n’est donc pas le privilège des mosquées ou cafés de Molenbeek. Elle se nourrit également d’internet et prospère en milieu carcéral. Les prisons, en France comme en Belgique, sont trop souvent délabrées, surpeuplées, et souffrent des carences de la politique de prévention de la récidive. Or, une partie des jeunes partis en Syrie et revenus comme terroristes se sont radicalisés en prison : incarcérés pour petite délinquance, ils en sont sortis aventuriers du grand banditisme et soldats de Daech. La Belgique est loin d’être le seul pays européen touché par la radicalisation ; mais elle concentre souvent l’attention, étant qualifiée tantôt de « plaque tournante du djihadisme », tantôt d’« État failli ».

Un Belgium bashing contesté et contestable

Ce Belgium bashing qui sévit depuis les attentats de Paris de novembre 2015 fait ressurgir une idée récurrente à l’échelon local belge : une tolérance trop importante aurait été accordée aux Belges d’origine marocaine, et à l’islam en général, depuis les années 1970. Après les attentats, l’ancien bourgmestre de Molenbeek Philippe Moureaux a ainsi été montré du doigt. Bien des maux lui ont été reprochés : clientélisme, laxisme en matière de lutte contre le trafic de drogue, importance du rôle accordé aux « grands frères » en matière de contrôle social, etc. Pourtant, ces reproches ne sont qu’épiphénomènes d’un problème plus général, plus profond et plus ancien.

Comprendre l’histoire de l’islam en Belgique est essentiel pour appréhender le contexte actuel. En 1967, la visite officielle du roi Fayçal à Bruxelles a été un événement important. Elle a eu lieu quelques jours après l’incendie du magasin Inno, qui fit plus de 250 morts. Le roi d’Arabie Saoudite, touché par le drame, fit un don au profit des victimes. En remerciement, le roi des Belges lui confiait le pavillon oriental du parc du Cinquantenaire et lui demandait d’en faire le centre de l’islam en Belgique. À la même époque, des milliers de Marocains – essentiellement des Rifains, peu appréciés du souverain Hassan II – s’installaient en Belgique. Méfiants à l’égard des imams envoyés par Rabat, ils se tournaient vers les imams de Riyad, qui ne parlaient ni français ni flamand.

Avec l’implantation d’un islam rigoriste influencé par l’Arabie Saoudite émerge la question du rapport de nos démocraties à l’islam, ou plutôt aux islams. À cet égard, la droite n’a pas manqué d’accuser la gauche d’aveuglement. Si les responsabilités de la situation actuelle ne sont pas simples à établir, il est clair que personne n’a su prévenir les dérives dont le pays tout entier a payé le prix.

Le système fédéral belge et le détricotage des services

Le glissement de strates entières de la population vers la précarisation, le trafic et le passage aux actes violents, a pu s’opérer dans le contexte d’un État de plus en plus affaibli par les politiques successives de réduction des dépenses publiques. Les raisons en sont multiples : un système politique complexe, le dépérissement des ministères de la Justice et de l’Intérieur, ou encore l’appauvrissement des services de renseignement et de la police. […] »

Lisez la suite de l’article sur Cairn.info.