Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Delphine Alles propose une analyse de l’ouvrage de Yandry Kurniawan, The Politics of Securitization in Democratic Indonesia (Palgrave Macmillan, 2017, 240 pages).
Cet ouvrage aborde la construction du rapport de l’État indonésien à la sécurité nationale, avant de décrire les acteurs et débats impliqués dans les processus de sécuritisation (désignation d’une menace existentielle justifiant la mise en œuvre de mesures d’exception) et désécuritisation (retrait de certaines thématiques de l’agenda sécuritaire) de deux conflits internes. Yandry Kurniawan analyse l’évolution de la perception des menaces puis l’implication militaire face à la rébellion acehnaise (jusqu’à l’accord de 2005) et aux violences interconfessionnelles aux Moluques (1999-2005).
Un retour historique souligne combien la désignation de menaces existentielles fait figure de norme en Indonésie, dès l’époque coloniale. Une forme de loi martiale est institutionnalisée sous Sukarno puis consolidée par Suharto, avec développement d’une structure militaire territoriale parallèle à la bureaucratie civile. Le principal apport théorique de l’ouvrage apparaît dans les chapitres consacrés à la transition post-Suharto, de sa destitution (1998) au milieu du second mandat de Susilo Bambang Yudhoyono (SBY) (2009). La période est marquée par l’embrasement de plusieurs conflits internes et la diffusion d’une violence de basse intensité (attentats, piraterie, criminalité). Dans ce contexte, les autorités cherchent à consolider simultanément la transition démocratique et l’appareil sécuritaire, débarrassant l’establishment militaire de ses habitudes répressives tout en recourant abondamment à une loi martiale désormais inscrite dans le droit. Les trois premiers présidents de la transition démocratique ont ainsi invoqué la loi martiale (Habibie au Timor oriental ; Wahid aux Moluques puis dans le contexte précédant sa destitution ; Megawati à Aceh). Les mandats de SBY n’ont pas non plus été exempts de mesures exceptionnelles, notamment en matière de lutte contre le terrorisme.
Les cas d’étude soulignent l’absence de linéarité de la transition entre sécuritisation et désécuritisation, alternativement mises en œuvre par les mêmes acteurs selon leur perception des menaces et du contexte, notamment de l’opinion. Ils soulignent aussi la complexité du rôle des militaires, susceptibles de devenir des partenaires nécessaires voire des amplificateurs de désécuritisation, loin de la représentation dominante qui les cantonne au rôle d’agents de sécuritisation.
Tourné vers l’étude d’acteurs nationaux et locaux, l’ouvrage aurait pu davantage souligner l’importance d’un contexte mondial susceptible d’enrayer ou de favoriser les processus de sécuritisation. C’est notamment le cas, pour des conflits à dimension religieuse, après les attentats du 11 septembre 2001 (le gouvernement de Megawati assimilant alors les rebelles d’Aceh au terrorisme global). Dans la même ligne, l’intentionnalité des parties prenantes est parfois surestimée – choix assumé dont témoigne l’évocation de « politiques de sécuritisation » –, là où les autorités procèdent souvent à une sécuritisation ad hoc face à des situations semblant mettre en jeu leur crédibilité en l’absence de réponse vigoureuse. Enfin, les particularités inhérentes à la conception même de la sécurité en Asie du Sud-Est, au-delà de l’expérience coloniale, auraient mérité d’être soulignées : la sécuritisation prend une dimension différente dans un contexte où la sécurité nationale est d’emblée conçue de manière extensive et tournée vers l’intérieur, alors que l’appareil militaire se perçoit comme un vecteur de stabilité politique.
Delphine Allès
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