Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de Andrew Collier, Shadow Banking and the Rise of Capitalism in China (Palgrave Macmillan, 2017, 208 pages).

Andrew Collier, ancien président de la filiale américaine de la Bank of China International, analyse le système financier chinois en se penchant spécifiquement sur le shadow banking.

L’auteur rappelle tout d’abord les causes profondes de la naissance puis de l’essor de cette finance de l’ombre, qui échappe à tout contrôle réglementaire et alimente toutes sortes de projets, légaux et illégaux.

En fait, l’instauration d’un « capitalisme chinois » à partir de 1978 passe par une politique de répression financière impliquant une faible rémunération de l’épargne des acteurs économiques chinois. L’objectif est de financer à moindre coût l’industrialisation du pays. Le corollaire est la création de petites banques informelles qui vont se lancer dans des investissements certes risqués, mais offrant des taux d’intérêt supérieurs à ceux des grandes banques d’État. L’emprise du shadow banking s’étend dans les années 1980 et 1990, via des entreprises et des banques coopératives locales qui prêtent aux ménages et à des entreprises de plus en plus imposantes.

C’est cependant la relance budgétaire de 2008 – assurée aux deux tiers par les gouvernements locaux – qui consacre le rôle primordial de la finance de l’ombre. Afin de mener à bien leurs diverses opérations spéculatives (en particulier immobilières), les municipalités et les provinces empruntent massivement à des banques du secteur informel. La bulle immobilière ne cesse de gonfler et aboutit dans un certain nombre de cas à la réalisation d’« éléphants blancs » – le plus célèbre étant la construction de la cité-fantôme d’Ordos en Mongolie intérieure.

Le shadow banking est aussi fascinant que complexe et dangereux. Il reflète tout d’abord un système bancaire insuffisamment libéralisé. Certes, il favorise la diversification de l’économie chinoise et soutient les entreprises de taille intermédiaire, mais au prix d’une forte corruption et de multiples conflits d’intérêts. Par ailleurs, les principaux acteurs de cette finance informelle, initialement appelés trusts, présentent des statuts opaques. Par exemple, certains se prévalent d’une garantie (implicite ou explicite) d’une grande société, d’un autre trust ou d’un gouvernement local sans que cela soit avéré… Plus récemment, le shadow banking a essaimé dans la banque traditionnelle, qui y voit un moyen d’augmenter sa rentabilité. Cette évolution est inquiétante, car elle est susceptible de gangrener le système financier chinois dans son ensemble. D’où la préoccupation finale de l’auteur : celle de l’aléa moral. Devenues trop importantes, les institutions financières risquent de poursuivre des stratégies hasardeuses, comptant sur un renflouement massif de l’État en cas de banqueroute. Les autorités politiques et les experts écartent cette éventualité, considérant que l’épargne des ménages chinois et les réserves de change suffiront.

Fruit de nombreuses interviews, fourmillant d’anecdotes, l’ouvrage d’Andrew Collier est éclairant. Il permet de comprendre la difficulté de concilier croissance économique élevée et système financier sain. En creux, il souligne l’importance des réglementations bancaires et de l’analyse du risque de crédit.

Norbert Gaillard

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