Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Youngjun Kim, Origins of the North Korean Garrison State: The People’s Army and the Korean War (Routledge, 2017, 248 pages).

Officier de l’armée de Terre sud-coréenne et docteur en histoire de l’université du Kansas, Youngjun Kim est professeur à la National Defense University de Corée du Sud. Dans cet ouvrage, il s’appuie sur le concept « d’État garnison » développé par Harold Lasswell en 1941, pour expliquer la montée en puissance de l’armée nord-coréenne de la fin de Seconde Guerre mondiale à la conclusion de la guerre de Corée. Pour sa démonstration, l’auteur utilise des sources nombreuses et, pour certaines, originales : archives nord-coréennes saisies par les Américains à Pyongyang en 1950, biographies d’anciens combattants nord-coréens, archives soviétiques transférées en Corée du Sud en 1990, et documents russes détenus à Washington.

Dans une première partie, Kim revient sur les origines de l’Armée populaire. Il démontre qu’elle n’est pas uniquement le fruit de l’influence soviétique, comme cela est souvent avancé, mais que sa culture et son organisation résultent d’influences plurielles. Kim-Il Sung et son groupe étaient membres du Parti communiste chinois et combattirent contre l’armée japonaise en Chine dans les années 1930. Ils furent ensuite intégrés dans la 88e Brigade soviétique spéciale jusqu’en 1945. Un deuxième groupe faisait partie de l’Armée populaire de libération pendant la guerre civile chinoise. Il rejoignit la Corée du Nord entre 1947 et 1950. Ainsi, la plupart des officiers de haut rang et plus de la moitié des soldats étaient soit des anciens des forces antijaponaises de Mandchourie, soit des vétérans de la guerre civile chinoise. Le troisième groupe, moins volumineux, était formé des « Coréens-soviétiques » qui luttèrent sur le front de l’est, ou contre les Japonais.

Dans une deuxième partie, l’auteur s’intéresse plus particulièrement à l’efficacité militaire de l’Armée populaire pendant la guerre de Corée. Il développe beaucoup la question des guérillas communistes à partir de 1948, et s’attarde sur le rôle clé qu’a joué leur échec dans l’issue du conflit. Il explique aussi que la plupart des officiers nord-coréens avaient plus d’expérience au combat que leurs homologues du Sud, et qu’ils étaient mieux formés. Il leur manqua néanmoins un ou deux ans pour entraîner leurs unités. Surtout, la politisation de l’armée – avec la création du « bureau politique général » en 1950, et la mise en place des commissaires politiques – détruisit l’allant des chefs militaires et leur esprit d’innovation. Au fur et à mesure de la guerre, l’Armée populaire devint une «bureaucratie inefficace ».

À la fin du livre, l’auteur évoque l’écho que son propos peut avoir dans l’actualité. L’armée nord-coréenne joue toujours un rôle significatif pour le maintien de « l’État garnison », pas en tant qu’instrument de répression comme peut l’être le Parti, mais plus comme un symbole national pour le peuple. Malgré les difficultés économiques et l’impopularité du service militaire, la population continuerait à souhaiter une armée forte.

En somme, cet ouvrage de Youngjun Kim, fruit d’une recherche très poussée, est précis et passionnant. Son explication convaincante des premières années de cette institution clé en Corée du Nord en fait une lecture indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de la guerre de Corée ou à celle des Corées en général.

Rémy Hémez

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