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L’article « Les femmes dans les relations internationales » a été écrit par Françoise Gaspard, alors maîtresse de conférences en sociologie à l’EHESS, et publié dans le numéro 3-4/2000 de Politique étrangère.

Feuilletons ensemble, au hasard, les photographies de la scène internationale, celles des moments où les grands de ce monde se rencontrent. Pas une femme ne figure sur celles du Congrès de Versailles, en 1919 ; pas une lors de la rencontre de Yalta, en 1944. Qui s’en étonnerait ? En 1919, les États qui ont reconnu aux femmes le droit de voter et celui d’être éligibles se comptent sur les doigts d’une main. En 1944, la citoyenneté des femmes a progressé, mais celles qui remplissent des fonctions électives et ministérielles demeurent une curiosité. Plus d’un demi-siècle s’est écoulé lorsque se tient à New York, en septembre 2000, le « sommet du millénaire ». Une photographie l’immortalise. On compte, difficilement, six femmes perdues parmi les quelque 181 chefs d’États et de gouvernements qui entourent le secrétaire général des Nations unies. Comme si rien n’avait changé, ou presque, depuis… le congrès de Vienne de 1815.

Simplement, on remarque maintenant davantage cette masculinité du pouvoir, et au niveau international, comme désormais dans nombre de pays, la féminisation des instances de décision est à l’ordre du jour. Depuis plus d’un siècle, des femmes (et des hommes aussi) se sont battus pour que les droits des hommes soient aussi ceux des femmes. La scène internationale a résonné de ces combats qui demeurent d’actualité.

Invisibles dans l’histoire des relations internationales, absentes de la scène diplomatique

Où sont les femmes ? Alors qu’elles ont toujours représenté, grosso modo, la moitié du genre humain, elles ont été longtemps absentes du récit du passé. L’histoire des femmes s’est développée depuis trois décennies seulement. Elle est le produit, en Occident, de l’entrée massive des filles dans l’Université. Et de leur critique d’un enseignement qui ne leur disait rien de leurs mères et grands-mères dont elles savaient pourtant qu’elles avaient joué un rôle actif dans la vie, souvent troublée, de leurs pays. N’ont-elles pas participé aux guerres ? Et pas seulement comme victimes civiles, veuves d’un compagnon, d’un époux, mère d’un fils (voire de plusieurs) tombés au front, victimes aussi de viols pratiqués depuis toujours comme armes de guerre. Sur le front, elles n’étaient pas en première ligne. Sauf, on l’oublie souvent de façon pudique, comme prostituées. Il fallait bien sauvegarder le moral des troupes… Elles ont aussi été combattantes de l’ombre pendant les guerres de libération. Et tenté d’influer sur l’organisation de la paix. Or, si les ouvrages sur l’histoire des femmes emplissent les bibliothèques, l’histoire diplomatique leur consacre bien peu de place. Des générations d’étudiants de l’Institut d’études politiques ont eu pour bible l’Histoire des relations internationales de Pierre Renouvin. Ils n’y ont guère rencontré de femmes. Jane Addams, pourtant prix Nobel de la paix en 1934, n’y figure pas, et pas davantage les premières ambassadrices comme la Hongroise Rosika Schwimmer ou la Russe Alexandra Kollontaï. Plus que le nom de Bertie Albrecht, les étudiants d’aujourd’hui connaissent celui d’Hélène de Portes, la maîtresse du président du Conseil Paul Reynaud, qui aurait exercé, selon de nombreux ouvrages, une funeste influence pendant la débâcle de juin 1940. Image stéréotypée : quand la femme intervient en politique, le malheur arrive.

Que les femmes ne portent pas les armes (il était entendu qu’elles ne le pouvaient pas) a souvent servi d’argument à leur privation de droits politiques. Inversement, l’argument de leur rôle dans les guerres a été avancé pour justifier que leur soient enfin accordés des droits civiques. La situation faite aux femmes ne saurait en outre permettre d’opposer, de façon simpliste, l’Orient et l’Occident, le Sud et le Nord, les pays totalitaires et les démocraties. Celles-ci ont pendant longtemps contribué à renforcer la différence des sexes en inscrivant la sujétion des femmes dans le droit écrit. La citoyenneté a d’abord été réservée aux seuls hommes, et les femmes mariées ont été constituées, juridiquement, en mineures civiles. Le Code Napoléon est, au XIXe siècle, objet d’exportation. Or il organise durablement, dans les mentalités et les faits, la domination et la domestication des femmes. Plus : il sert à la justifier et il la renforce. Sur fond d’universalisme, une idéologie de la séparation des sphères publique et domestique s’impose. Idéologie de la bourgeoisie en expansion ? Certes, mais guère contestée par le prolétariat naissant. Au nom de la distinction des rôles, des législations se mettent en place qui ne cessent de différencier les statuts des femmes et des hommes. Les premières sont ainsi « protégées » contre des journées de travail trop longues et le travail de nuit. Mais elles se voient aussi interdire l’accès à la politique, à l’enseignement supérieur et à nombre d’emplois. A fortiori les carrières administratives leurs sont-elles fermées.

La création de l’État français moderne s’accompagne ainsi de la naissance d’une administration masculine. Elle a dû cependant s’ouvrir aux femmes. Mais lorsque celles-ci ont été recrutées, c’est à des niveaux de salaires inférieurs à ceux des hommes. La
« conquête des grades » fut aussi l’objet d’une longue lutte. L’un des épisodes les plus connus est celui de Suzy Borel (future épouse de Georges Bidault, président du Conseil sous la IVe République). Pour des raisons anecdotiques (un ministre avait souhaité faire entrer au Quai d’Orsay l’une de ses protégées), le concours d’admission aux carrières diplomatiques et consulaires a été, en 1928, ouvert aux femmes. En 1930, Suzy Borel passe le concours. Elle est reçue. « Le ministère est fort embarrassé : que faire d’une femme diplomate ? » raconte l’historien Guy Thuillier. Et il poursuit, en citant Giraudoux qui a raconté cette affaire en 1934 : « Alors commence ce que j’appellerai non pas son odyssée – car jamais il n’y eut moins de voyages que dans cette histoire – mais une magnifique épopée administrative. Un premier ministre refuse de considérer la question, il ne saurait admettre une femme pour représenter publiquement son pays […]. Le second ministre décide que, incompétente pour exercer (les) fonctions (d’officier d’état civil), la jeune recrue ne pourra pas aller à l’étranger et restera à Paris… Bref, depuis quatre ans, les chefs du personnel perdent leurs latins et leurs cheveux sur ce problème auquel ils ne voient plus qu’une solution: le mariage. » Le décret qui avait permis la nomination de Suzy Borel est contesté au motif que, « si les femmes reçues restent à Paris, il se peut que dans vingt ou trente ans, à une ou deux femmes par an, tous les postes de l’administration centrale soient remplis par des femmes ». Un décret-loi assure finalement à la jeune diplomate un avancement identique à celui de ses collègues. Mais sa carrière s’est limitée au Service des œuvres du ministère. Le cas de Suzy Borel ressemble à celui de ces autres femmes fonctionnaires qui, sous la IIIe République, ont difficilement et progressivement fait valoir leurs droits. Leur victoire fut de courte durée. Le gouvernement de Vichy, à peine installé, s’efforce en effet de faire rentrer les femmes à la maison et, en particulier, les fonctionnaires. En 1945, une digue est enfin rompue avec la création de l’École nationale d’administration (ENA). Dans ses mémoires, Michel Debré raconte la séance au cours de laquelle il annonce les grandes lignes de ce qui va devenir l’ordonnance créant l’ENA : « Dernière difficulté que je me dois de résoudre : l’ouverture de l’École aux jeunes filles et aux jeunes femmes. Lorsque, dans la grande salle de Matignon, j’annonce mon projet aux directeurs de personnel, secrétaires généraux de ministère et chefs de service des grands corps, un grand silence s’établit. La petite minorité favorable observe la majorité hostile. Les objections arrivent : on admet une femme dans certains postes de la diplomatie ; cependant, est-il rappelé, l’expérience tentée a échoué… Mise aux voix, ma proposition aurait certainement été écartée, mais concertation ne signifie pas délibération, encore moins décision. La voie est ouverte. Les mœurs suivront. Pas tout de suite, mais le barrage juridique a été levé. » L’ordonnance du 9 octobre 1945 laisse cependant la porte ouverte à de possibles discriminations. Il est précisé : « Les femmes ont accès à l’École nationale d’administration, sous réserve des règles applicables d’admission à certains emplois. » À la sortie de l’École, quel que soit le rang de la jeune fonctionnaire, elle peut donc se voir interdire l’accès à certains emplois. L’usage, plus que la règle, domine le recrutement pour les emplois civils. Il fallut ainsi attendre 1972 pour qu’une femme soit enfin nommée « ambassadeure ».

La France n’est certes pas singulière même si elle ne se situe pas, loin s’en faut, dans le peloton de tête en matière de présence des femmes dans la politique et dans la haute administration. Un chiffre est à cet égard éloquent : dix seulement des représentants des 188 pays aux Nations unies étaient, en juin 2000, des femmes. Une seule siégeait en septembre 2000 parmi les 15 membres du Conseil de sécurité.

La présence des femmes dans le débat transnational, du XIXe siècle à la veille de la Seconde Guerre mondiale

Les femmes ont, de tout temps, protesté contre leur sujétion. Au milieu du XIXe siècle, des mouvements naissent, qui sont d’abord nationaux, même si leur chronologie connaît un étonnant parallélisme dans divers pays occidentaux. En 1848, des Françaises, des Allemandes, des Polonaises réclament au même moment, dans le contexte révolutionnaire européen, des droits pour les femmes et, de l’autre côté de l’Atlantique, se tient une Convention qui marque la naissance du mouvement féministe américain. Les Américaines mènent alors conjointement le combat pour l’affranchis sèment des Noirs et celui pour le suffrage des femmes. Elles participeront activement à la guerre de Sécession qui permettra aux hommes de couleur d’accéder à la citoyenneté. Mais toutes les Américaines en demeurent exclues, ce qui radicalise leur combat. La seconde moitié des années 1860, après un moment de silence, voit renaître le mouvement dans divers pays occidentaux. En 1865, Louise Otto fonde en Allemagne l’Association générale des femmes allemandes. Alors que l’Empire français se fait plus libéral, Léon Richer et Maria Deraismes fondent, en 1869, l’Association pour le droit des femmes. La même année, The Subjection of Women du philosophe et homme politique britannique John Stuart Mill, connaît un succès qui dépasse les frontières. Et en 1869 est fondée aux États-Unis l’Association nationale pour le suffrage des femmes.

Au XIXe siècle, si nombre de femmes migrent, rares sont celles qui peuvent voyager seules, se réunir, communiquer, s’exprimer publiquement. Un événement transnational a cependant contribué, en 1840, à faire prendre conscience à quelques-unes de la nécessité de l’organisation par-delà les frontières : la Convention internationale contre l’esclavage de Londres. Des Américaines engagées dans le combat anti-esclavagiste ont traversé l’Atlantique pour participer aux débats. Mais les organisateurs de la Convention décident que les femmes n’auront pas la parole. Elizabeth Cady Stanton, qui accompagnait son époux à Londres, va devenir l’une des pionnières de la lutte suffragiste, mais aussi de l’organisation internationale. Un premier congrès, qui se proclame international et a pour objet la situation des femmes, se tient à Paris en 18789 ; mais il faut attendre 1888 pour que naisse, sur l’initiative des Américaines, la première organisation internationale, le Conseil international des femmes (CIF). D’autres organisations émergent à la fin du siècle. Les unes auront pour ambition de rassembler toutes les femmes autour d’un thème (la citoyenneté politique, la construction d’un monde pacifique, l’élimination de la prostitution…). D’autres visent à fédérer les femmes à partir d’identités spécifiques. Ainsi des ouvrières, des socialistes, des catholiques… De la fin des années 1880 jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, les congrès féminins dits internationaux se multiplient. […]

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