Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère
(n° 2/2018). Le lieutenant-colonel Serge Caplain, chercheur au sein du Laboratoire de Recherche sur la Défense (LRD) de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage dirigé par François Lecointre, Le soldat. XXe-XXIe siècle (Gallimard, 2018, 448 pages).
Quelle est l’essence même du métier de soldat ? Qu’est-ce qui unit ou dissocie le combattant de Camerone et le militaire français engagé aujourd’hui dans l’opération Sentinelle ? C’est en un sens la question posée par cet ouvrage, recueil de textes issus de la revue Inflexions. Cette revue a l’ambition de « participer au débat intellectuel autour de problématiques centrées sur l’action militaire », en associant « praticiens et théoriciens, français et étrangers, civils et militaires ». C’est ainsi que les témoignages et réflexions de 18 auteurs – philosophes, historiens, sociologues, médecins et officiers – ont été réunis dans cet ouvrage sous la direction du général François Lecointre, aujourd’hui chef d’État-major des armées.
Chaque contribution apporte une pierre à l’édifice toujours en construction de la compréhension de l’identité militaire. Le soldat est dévoilé dans sa singularité complexe : celle de sa mission faite de « servitude » et de « grandeur » comme l’écrivait Alfred de Vigny, incluant « la mort comme hypothèse de travail », et qui oblige les militaires à entretenir des valeurs et des idéaux peu en adéquation avec l’hédonisme consumériste de leur époque. Le malheur du soldat est de ne pouvoir se nourrir que de l’affection d’une Nation qui ne lui offre en retour qu’« indifférence bienveillante ».
Dans la première partie, il est question de la quintessence de l’état de « soldat ». Le courage s’y révèle une vertu glorifiée entre toutes, exigence de l’esprit qui vient compléter celle du corps. Cette double exigence, chantée et valorisée dans toute l’histoire militaire, est avant tout ce qui permet au soldat d’affronter en conscience sa responsabilité morale et légale. La deuxième partie – « au combat » – aborde le « pouvoir exorbitant de donner la mort », avec les questions morales et éthiques qui se posent au combattant, et au chef. La guerre est l’empire des émotions : l’empathie qui permet de comprendre amis et ennemis, la joie dans la victoire et dans certaines banalités du quotidien, et la peur, toujours présente, qu’il faut canaliser et utiliser. Le chef, quant à lui, se révèle tiraillé entre la ferme sérénité qu’il est nécessaire d’afficher et les doutes qui l’assaillent sans cesse. Ainsi, dans un monde de technologies, le soldat cultive et défend sa fragile humanité, condition nécessaire pour assumer son rôle avec déontologie et efficacité. La dernière partie évoque le sujet délicat du « retour au monde civil », bien éloigné géographiquement et culturellement du domaine de la guerre. Si l’antimilitarisme semble avoir vécu, la société peine à reconnaître un soldat incompris.
Le côté pluridisciplinaire de l’approche rend cet ouvrage des plus intéressants, psychologues et historiens apportant le recul nécessaire aux témoignages vibrants et concrets des officiers. On regrettera pourtant une approche trop orientée vers l’armée de Terre, et plus spécifiquement vers l’infanterie. Aviateurs, marins, officiers des appuis et du soutien sont les grands absents de ces réflexions. Pour autant, le lecteur averti comme le profane trouveront là toute la matière nécessaire pour comprendre la spécificité militaire, et faire en sorte que le soldat ne soit plus un « inconnu ».
Serge Caplain
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