Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2018). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Roger E. Backhouse, Bradley W. Bateman, Tamotsu Nishizawa et Dieter Plehwe, Liberalism and the Welfare State: Economists & Arguments for the Welfare State (Oxford University Press, 2017, 264 pages).

Ce brillant ouvrage collectif analyse les liens – plus complexes qu’il n’y paraît – entre libéralisme et État-providence dans trois grands pays développés : Royaume-Uni, Allemagne et Japon.

Le premier chapitre, consacré au Royaume-Uni, rappelle que ce sont les gouvernements libéraux de Henry Campbell-Bannerman et Herbert Asquith (1905-1916) qui lancent les grandes mesures en faveur des retraités, des travailleurs et des chômeurs. À partir de l’entre-deux-guerres cependant, la tradition libérale se scinde en deux grands courants intellectuels irréconciliables.

D’un côté, le « New Liberalism » et l’économiste Arthur Pigou s’attachent à défendre l’idée de bien-être, qui servira de base à l’organisation de l’État-providence par William Beveridge en 1942. De l’autre côté, un certain nombre de libéraux comme Robbins s’opposent à cet interventionnisme croissant : c’est l’émergence du néolibéralisme, porté sur les fonts baptismaux en 1947 lors de la création de la Société du Mont-Pèlerin (SMP) par Friedrich Hayek et Ludwig von Mises. Durant les trois décennies d’après-guerre, conservateurs comme travaillistes – qui ont supplanté le parti libéral – poursuivent des politiques d’inspiration keynésienne et approfondissent l’État-providence.

Outre-Rhin, le panorama est bien différent. L’économie sociale de marché des années 1950-1960 se présente comme le fruit de l’« ordolibéralisme » et de la « compensation sociale ». Concrètement, l’État adopte de multiples mesures d’assurance sociale (en accord avec les syndicats), tout en garantissant la stabilité monétaire, le respect de la propriété privée, la libre concurrence et les grands équilibres budgétaires. La doxa keynésienne ne sera véritablement suivie qu’en 1967-1974, sous la houlette des socio-démocrates Willy Brandt et Karl Schiller.

Le cas japonais est singulier. L’essor de l’après-guerre s’est accompli selon des modalités éloignées des principes keynésiens, et plus encore des théories libérales. Le Japon a en fait suivi un modèle développementaliste, où les politiques industrielles visent à maximiser le taux de croissance du PIB en stimulant les exportations. En parallèle, un système universel de sécurité sociale et un salaire minimum sont institués sous les gouvernements Kishi et Ikeda (1957-1964). Le néolibéral Katsuichi Yamamoto craignait qu’une telle politique n’alimente l’inflation, et ne sape la solidarité intergénérationnelle.

La crise économique des années 1970 conduit à une remise en cause progressive de l’État-providence. Au Royaume-Uni, les relais de la SMP et le Tory Keith Joseph convainquent Margaret Thatcher d’épouser les thèses néo­libérales qui triompheront durant la décennie 1980. Le chapitre sur le New Labour montre que le gouvernement de Tony Blair (1997-2007), loin de démanteler l’État-providence, l’a au contraire réorganisé. En Allemagne, le principal vecteur du néolibéralisme est l’Initiative Neue Soziale Marktwirtschaft. Créée en 2000, elle milite surtout en faveur de la flexibilisation du marché du travail, estimant que les lois Hartz vont dans la bonne direction mais demeurent insuffisantes. Le tournant néolibéral au Japon, impulsé par le gouvernement Koizumi (2001-2006), est à la fois tardif et timide.

Norbert Gaillard

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