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L’article « Le Vatican, la guerre et la paix » a été écrit par Maurice Pernot. Officier de la Légion d’honneur et titulaire de la croix de guerre 1914-1918, il a été Président du Centre d’études de politique étrangère. Son article a été publié dans le numéro 2/1948 de Politique étrangère quelques mois avant son décès.

M. Myron-C. Taylor a publié récemment les messages échangés au cours de la deuxième guerre mondiale entre le pape Pie XII et le président Roosevelt. Ce recueil est précédé de deux préfaces : l’une du Souverain Pontife, l’autre du président Truman ; l’auteur y a joint une introduction et des notes explicatives où sont utilement définis le caractère et l’objet de la mission qu’il a remplie au Vatican. La grande presse américaine n’a pas manqué de signaler l’importance et l’opportunité d’une telle publication ; elle en a pris occasion pour rappeler et commenter l’attitude que le chef de l’Église catholique a prise en face des problèmes de la guerre et de la paix…

Dans le même temps, la presse soviétique, qui, au cours des dernières années, s’était peu occupée du Vatican et de sa politique, lançait contre le Saint-Siège une série d’accusations aussi violentes que gratuites. Sous prétexte de condamner le totalitarisme, le Pape attaquait les principes mêmes de la démocratie ; en France et en Italie, il favorisait ouvertement la réaction ; les agents du Saint-Siège s’appliquaient à rassembler les débris du fascisme, après avoir tenté de diviser entre eux les ennemis de l’Allemagne hitlérienne. Les monastères et les écoles catholiques recevaient du matériel militaire d’origine américaine destiné aux partis italiens de droite et aux agents français de de Gaulle. Les surplus américains auraient été cédés au Vatican, déclare la Pravda, qui ajoute : « Les représentants du Saint-Siège ont déjà gagné plus de trois milliards de lires en revendant ce matériel à la population à un taux de spéculation. Une partie de cet argent est destinée à financer la presse réactionnaire de France et d’Italie qui, sous la direction du Vatican, mène une propagande contre les forces démocratiques des deux pays ».

Le Vatican marchand de canons, voilà un slogan aussi pittoresque qu’inattendu. Mais d’autres griefs, bien qu’aussi peu fondés, sont plus spécieux. En tout cas, ils invitent à examiner de plus près le rôle qu’a joué le Saint-Siège dans la dernière guerre, ainsi que celui qu’il pourrait jouer dans le rétablissement de la paix et dans la future organisation du monde. C’est assurément prendre trop de libertés avec l’Histoire que de prétendre, comme l’ont fait récemment quelques écrivains français, que l’action du Saint-Siège s’est toujours exercée en faveur de la paix. En réalité, depuis le moyen âge jusqu’au début du XVIIe siècle, les pontifes pacifiques ont alterné sur le siège romain avec les pontifes belliqueux ; et la guerre que ces derniers prêchaient, soutenaient de leurs armes ou de leurs finances, ce n’était pas toujours la guerre sainte. A une époque voisine de la nôtre, on vit encore
Pie IX favoriser les Carlistes en Espagne, les Miguelistes au Portugal, et pousser l’empereur des Français à la folle expédition du Mexique. Aussi longtemps que les papes unirent à leur fonction de chefs de l’Église catholique celle de souverains temporels, de princes italiens, force leur fut d’entrer dans certaines alliances ou de lutter contre certaines coalitions. On peut dire que l’action proprement pacifique du Vatican date du jour où, dépouillés de leurs États, privés du pouvoir temporel, les pontifes romains se trouvèrent du même coup libérés des nécessités auxquelles l’exercice de ce pouvoir les avait longtemps assujettis. Leur influence politique n’en fut point diminuée, mais elle se manifesta sur un terrain plus large et en liaison plus intime avec leur action morale, sociale et religieuse.

Si l’on envisage ce dernier point de vue — le seul auquel le Saint-Siège puisse désormais se placer, — il est évident que tout l’effort diplomatique du Vatican doit tendre à maintenir ou à rétablir la paix entre les nations du monde. L’état de guerre est préjudiciable à l’Église : il bouleverse l’ordre établi, sur lequel elle s’appuie ; il interrompt ou rend plus difficiles les relations internationales, dont son gouvernement ne peut se passer ; il arrache à leur ministère, à leurs fonctions pastorales ou administratives, une grande partie de ses prêtres et de ses religieux ; enfin il crée et laisse subsister longtemps après lui un déséquilibre, un désordre moral, une prédominance des intérêts matériels, où les religions et les Églises ont bien plus à perdre qu’à gagner. J’ai entendu, en 1918, un évêque anglican avouer son impuissance et celle de ses collègues à ranimer le foyer de la vie spirituelle dans des esprits que les soucis quotidiens d’une vie matérielle devenue très difficile accaparaient tout entiers. Quelle serait aujourd’hui son angoisse en face du désarroi général, de la démoralisation profonde, des troubles sociaux et de la misère économique que la deuxième guerre mondiale a produits dans toute l’Europe et dans une grande partie de l’Asie ! Quelques observateurs, il est vrai, prennent en considération un certain retour aux croyances ou aux pratiques religieuses, qu’ils attribuent tantôt au désespoir, tantôt à une réaction plus ou moins raisonnée contre le matérialisme environnant. Ce mouvement existe ; il s’en est produit d’analogues après chaque grande catastrophe. Mais il est moins général et moins profond que d’aucuns se plaisent à le représenter et ne compense que dans une très faible mesure les dommages que l’état de guerre inflige aux intérêts spirituels et aux organisations religieuses.

Il n’en demeure pas moins que, fidèles à une doctrine établie et illustrée par saint Thomas d’Aquin, les chefs de l’Église catholique n’ont jamais condamné la guerre absolument et sans réserve. Le recours à la force armée peut être légitime ; il y a des « guerres justes ». Nous n’avons ni l’espace, ni la compétence nécessaires pour traiter ici un argument aussi vaste et aussi délicat. Mais, comme on a fort épilogue sur trois allocutions prononcées par Pie XII en octobre dernier, nous les citerons en exemple. Dans la première, le pape rappelle et glorifie la victoire de Lépante (7 octobre 1571). « C’est à ce jour, dit-il, que les puissances représentant la civilisation chrétienne s’unirent pour conjurer la formidable menace venue de l’Orient. C’est un jour d’actions de grâces inscrit dans le calendrier liturgique… parce qu’alors les sanctuaires de l’Europe et leurs autels furent sauvés d’une destruction certaine… » En somme, il s’agit ici d’une sorte de guerre sainte, donc d’une juste guerre selon la doctrine catholique.

Le 8 octobre dernier, s’adressant à un groupe de parlementaires américains, Pie XII déclare : « Parfois la loi et l’ordre ont besoin de l’aide puissante de la force. Mais toujours la force doit être contrôlée par la loi et l’ordre et n’être employée que pour leur défense. » Le même jour, le pape recevait cinquante vétérans de l’American Legion et leur disait :
« Si votre nom est belliqueux, votre esprit ne l’est guère… Vous êtes les vétérans de nombreux champs de bataille sur lesquels, nous l’espérons, vous n’aurez plus jamais à retourner. Désormais vous êtes organisés comme une force pour la paix… La force est un grand bien à condition qu’elle soit mise au service d’une cause digne et bonne. Mais cette force peut être manœuvrée et détournée sur une voie qui ne conduit ni au bien de l’individu, ni à celui du pays qui l’a suscitée. Telle est la faiblesse de toutes les organisations humaines. »

Pour changer radicalement la nature de ces déclarations, il suffisait d’en isoler quelques phrases et d’y remplacer le mot « force » par le mot « violence». Les fauteurs d’une certaine propagande n’y ont pas manqué, et c’est ainsi qu’ils ont mis dans la bouche de
Pie XII l’éloge de la violence et la glorification de la guerre. Plusieurs journaux ont reproduit le texte ainsi falsifié, sans s’apercevoir qu’il contredisait maintes déclarations du même pape. Il suffît, en effet, de se reporter aux divers messages adressés par celui-ci, entre 1939 et 1947, tantôt aux évêques et aux fidèles, tantôt au monde entier, pour constater son souci de distinguer la « force », qui peut être mise au service du droit, d’avec la « violence », qui est un emploi injustifié de la force. Quant à la « guerre totale », telle qu’Hitler l’a définie et pratiquée, Pie XII n’en parle jamais qu’avec horreur. Bref, l’attitude du Vatican depuis près d’un siècle peut se résumer ainsi : il établit une distinction très nette entre la juste guerre et la guerre injuste ; il déplore la première, tout en reconnaissant ses tristes nécessités ; il condamne sévèrement la seconde et s’élève avec indignation contre les violences commises au mépris des lois par lesquelles on s’est vainement efforcé « d’humaniser » la guerre. […]

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