Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2018). Michel Drain propose une analyse de l’ouvrage de Christian Deubner, Security and Defense Cooperation in the EU: A Matter of Utility and Choice (Nomos Verlagsgesellschaft, 2018, 272 pages).

Christian Deubner, membre d’un groupe de réflexion commun au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Ifri et à la Fondation Genshagen, publie un bilan critique des politiques de sécurité et de défense de l’Union européenne (UE) jusqu’en 2017.

Il s’en tient aux orientations fixées en décembre 2016 par l’UE pour mettre en œuvre la « stratégie globale » de juin 2016, sans examiner les mesures adoptées depuis lors. Il parvient néanmoins à définir certains des obstacles fondamentaux qui ont, jusqu’à présent, empêché l’émergence d’une Europe plus autonome dans la gestion de sa propre sécurité.

Christian Deubner considère que les pays de l’UE bâtissent leurs politiques de sécurité extérieure sur la base de quatre options institutionnelles : l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), l’Organisation des Nations unies (ONU), les coalitions d’États volontaires et l’UE, chacune de ces options étant retenue en fonction de la perception nationale des avantages offerts dans chaque cas. Face à la réaffirmation de la puissance russe, les pays de l’UE auraient ainsi tendance à s’adresser à l’OTAN. S’agissant des menaces émanant du sud et sud-est de l’Europe (terrorisme, mouvements migratoires illégaux), les pays les plus interventionnistes, et tout particulièrement la France, préféreraient l’action nationale, si nécessaire en coalition, notamment avec les États-Unis et le Royaume-Uni. Pour les défis de sécurité du Sud, c’est le cadre de l’ONU, en liaison avec l’Union africaine ou les organisations sous-régionales, qui serait généralement privilégié.

La Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’UE ne serait retenue que pour les missions les moins dangereuses, de plus en plus à caractère civil. Même en dehors d’Europe, l’OTAN paraîtrait plus adaptée en cas d’emploi significatif de la force, en raison de la robustesse de ses structures de commandement, qui bénéficient de l’affectation prévisionnelle de la majeure partie des forces nationales.

Ces préférences, variables selon les pays, découleraient également des cultures stratégiques nationales. L’Allemagne trouve dans l’OTAN un cadre de coopération multilatéral éprouvé, et la France considère souvent qu’elle peut agir plus efficacement seule ou au sein de coalitions ad hoc.

Christian Deubner relève cependant que les défis du terrorisme et des migrations de masse introduisent un élément nouveau. Si le rôle de l’UE devenait plus actif dans ces deux domaines, l’opinion publique, dont c’est une des attentes, le soutiendrait probablement. Mais il faudrait pour cela mieux articuler les politiques de sécurité extérieure et intérieure de l’UE, en dépit de leurs profondes différences de nature et de moyens.

Au total, Christian Deubner n’envisage pour la PSDC que des perspectives de développement réduites dans l’état actuel des risques et menaces, ce qui le conduit peut-être à sous-estimer la portée d’une innovation comme l’intervention de la Commission européenne dans le domaine de la défense, et plus particulièrement de l’armement. Il demeure également sceptique quant à la capacité de la France et de l’Allemagne à s’entendre pour développer l’autonomie stratégique de l’UE. Sa recherche n’en constitue pas moins un utile cadre de référence pour l’évaluation des évolutions à venir des politiques européennes de sécurité.

Michel Drain

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