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L’article « La radio pendant les deux premiers mois de guerre » a été écrit par le journaliste Thomas Grandin dans le numéro 5/1939 de Politique étrangère.

Un pays en état de guerre ne diffuse pas les mêmes nouvelles à ses nationaux et à l’étranger. Les émissions destinées à l’intérieur s’appliquent d’abord à maintenir le moral des militaires aussi bien que des civils ; le gouvernement adoptera en cela une véritable stratégie défensive. Il donnera au contraire plutôt un caractère offensif aux émissions qui traversent les frontières puisque leur but est de miner le moral des forces de l’ennemi. S’il est possible d’empêcher l’entrée des journaux étrangers, d’abattre les avions porteurs de tracts, les ondes, elles, se glissent à travers chaque pays avec la vitesse de la lumière.

La radio est une arme nouvelle et perfide qui va probablement jouer, comme instrument de propagande, un rôle important dans cette seconde guerre mondiale. En effet, selon les avis autorisés, cette guerre sera une guerre d’endurance, sans victoires militaires absolument décisives. Aucun pays ne cédera avant que la résistance de sa population n’ait été complètement minée : la guerre entre dans chaque foyer, dans chaque usine et dans chaque ferme. Des villes et des bateaux peuvent être bombardés, des millions d’hommes sacrifiés sur le front, en définitive, la volonté de vaincre du peuple entier sera le facteur décisif. On conçoit que la radio devienne alors d’une importance vitale puisqu’elle a le pouvoir d’affermir ou d’affaiblir la résistance de la population.

En plus des polémiques et des informations, la radio a une tâche importante, celle de diffuser les discours des hommes d’État dont la voix et le programme politique se font entendre au monde entier. Il n’y a pas lieu de citer ici tous les discours faits à la radio depuis le 1er septembre, il suffira de dire que presque tous les hommes d’État des pays belligérants et des pays neutres ont parlé.

En outre elle transmet les communiqués militaires des belligérants; ceux-ci font sept fois et demie le tour du globe en l’espace d’une seconde et peuvent donc être publiés aussitôt dans le monde entier.

C’est la radio qui porte dans tous les coins du monde des nouvelles d’importance historique, telles que l’entrée des troupes allemandes en Pologne, la déclaration de l’état de guerre par la France et l’Angleterre et l’occupation de la Pologne par l’armée rouge (qui fut rendue publique à la fois par les stations russe et allemande).

Dans le domaine strictement militaire, elle établit, par exemple, au front la liaison entre le haut commandement et les sections aux armées, ou elle dirige les avions d’après les ondes radiophoniques. A ce propos, on note qu’à Paris, pendant les alertes, l’Allemagne émettait des notes « directives » à l’usage de ses bombardiers qui, heureusement, n’arrivèrent jamais au-dessus de la capitale française.

Considérons enfin l’aspect négatif de la radio, ce qu’on appelle le « brouillage », les interférences volontairement provoquées sur les longueurs d’ondes étrangères. Le procédé fut employé longtemps avant le début de la guerre; il l’est aujourd’hui d’une manière plus générale et sert, en particulier, à empêcher que les émissions ennemies soient entendues dans les grandes villes. Mais l’efficacité du brouillage dépend de la position et de la puissance du poste transmetteur utilisé pour noyer les paroles indésirables. Certains observateurs ont pensé que le brouillage serait si fréquent en temps de guerre que les effets de la radio perdraient de leur valeur. En fait, si les belligérants « brouillent » de temps à autre réciproquement leurs programmes, le rôle positif de la radio en temps de guerre n’en demeure pas moins très important. La science radiophonique a fait des progrès gigantesques ; elle est devenue une arme dans les mains des belligérants : on supprime, on altère, on fabrique des nouvelles ; en un mot la propagande emplit l’éther ; elle est plus dangereuse dans cette guerre que les gaz et les canons; de son ampleur et de sa qualité dépendront la victoire et la défaite.

L’Allemagne a déjà acquis en matière de radiodiffusion destinée à son peuple une expérience de longue date. Dès 1933, elle s’est appliquée à le persuader de croire en la mission du national-socialisme. Il semble que ses émissions intérieures soient absolument au point.

Les émissions du B.B.C. en Angleterre, comme celles des P.T.T. en France, ont été sévèrement critiquées par les auditeurs dans ces deux pays. Les Anglais se plaignent de la monotonie et de la longueur de leurs bulletins d’information, donnant très peu de nouvelles; les plaisanteries antinazies surchargent à tel point tous les programmes que le directeur du « B.B.C. Variety » a dû demander aux speakers anglais de renouveler l’intérêt des sujets. En France, Gallus, écrivant dans L’Intransigeant du 18 octobre, décrit ainsi la radio officielle française :

« Mêlons notre voix à celles qui maudissent et condamnent à l’unisson la radio française. Trois reproches principaux peuvent être adressés à ce service national.

D’abord il devrait nous renseigner, et il nous renseigne fort mal, incomplètement, insuffisamment. Nous ne demandons pas d’indiscrétion, en matière militaire moins qu’en toute autre. Nous savons qu’il est impossible de tout nous

dire au jour le jour et heure par heure. Mais nous savons aussi que certains renseignements pourraient nous être donnés qui ne toucheraient nullement au secret nécessaire des opérations, ni des pourparlers diplomatiques qui peuvent être engagés ici ou là. En d’autres termes, nous savons que les communications radiophoniques devraient être mieux nourries… Second reproche : les speakers, comme on dit, s’expriment dans un langage ennuyeux et pesant. Il y a des exceptions, que tout le monde connaît. Mais, pour un grand nombre, ceux qui nous parlent semblent ignorants du style qu’il faut prendre pour parler à un public immense. Ils récitent un petit papier rédigé à l’avance et dont aucun journal à grand tirage ne voudrait… Enfin, troisième reproche : ils commettent des fautes de français impardonnables… »

Il est peu vraisemblable qu’une critique aussi franche soit autorisée en Allemagne ou en Russie. Il faut reconnaître d’ailleurs que les Allemands et les Russes écoutent régulièrement des émissions dont le dynamisme les encourage. Celles de la France et de l’Angleterre peuvent par comparaison sembler insipides à leurs populations.

La raison de ces insuffisances est simple : les dirigeants des démocraties ont l’appui de leur opinion, ils ont donc porté leurs efforts vers d’autres buts plus pressants. Il semblerait que le défaut le plus marquant des émissions françaises soit le suivant : les nouvelles, si elles sont exactes, sont d’une façon générale déjà anciennes comparées aux bulletins de Rome ou des pays neutres, pour ne pas parler d’informations d’origine allemande, transmises avec rapidité et quelquefois fausses, telle l’annonce de la chute de Varsovie par deux stations allemandes longtemps avant la reddition de la capitale polonaise. Le but de cette nouvelle prématurée fut, sans aucun doute, de décourager les nations en guerre avec l’Allemagne.

Les émissions allemandes

S’il s’agit, pour un but stratégique, de toucher l’opinion de l’ennemi, les émissions sont ou de la polémique ou de la propagande accompagnée de commentaires de nouvelles. On peut discerner trois objectifs principaux dans l’ensemble des émissions allemandes actuelles : exalter les réalisations militaires et diplomatiques du régime nazi, entretenir la haine de l’Angleterre dans le monde entier, enfin amener la France à rompre son alliance avec la Grande-Bretagne. Les émissions transmises de Stuttgart sont typiques à ce dernier point de vue. N’en relevons que le « slogan » aujourd’hui réfuté par les faits mêmes : « Les Anglais donnent leurs machines, les Français leurs poitrines. »

Il est intéressant de relever d’autres méthodes employées par les Allemands pour influencer l’opinion française. On connaît l’histoire de la retransmission de la cérémonie des obsèques du lieutenant Deschanel, où furent rendus les honneurs militaires, ce qui, d’ailleurs, amena une réplique en langue allemande de la part des stations françaises. Stuttgart a transmis des programmes de musique variée pour les soldats de la ligne Maginot, soi-disant à la demande de soldats français; notons le titre suggestif de l’un des morceaux : « Parlez-moi d’amour ». Sarrebruck a donné les noms et les adresses de prisonniers français, accompagnés de messages envoyés par eux à leur famille. Pendant la campagne de Pologne, on donna des récits de témoins, combattant sur le front Est, et accompagnés des bruits de bataille. Des camions allemands équipés de haut-parleurs circulèrent le long du Rhin, en face de Strasbourg, répétant sans discontinuer des extraits du discours d’Hitler du 6 octobre, dans lequel il proclamait qu’il n’avait pas de querelle avec la France. Le poste de Sarrebruck n’a cessé de démentir qu’il y eût sur le sol français un nombre considérable de troupes anglaises : ce qui intéresse l’Angleterre, déclarent les Allemands, ce sont les bénéfices faits par les banquiers anglais, les Juifs internationaux et l’aristocratie; l’Angleterre, expliquent-ils encore fréquemment, est dans une situation critique du fait de son chômage, de son manque de vivres et de pétrole. C’est après seulement que des doutes sont élevés sur la situation de la France : « Français, voulez-vous vous suicider ? Parce que vous êtes faibles, voulez-vous mourir? « Sarrebruck émet : « Nous connaissons la France, nous, de l’autre côté du mur de l’Ouest… La France est forte, mais forte dans la paix. La paix seule lui donne force et bonheur. » […]

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