Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°3/2018). Giuseppe Bianco propose une analyse de l’ouvrage de Andrea Lorenzo Capussela, The Political Economy of Italy’s Decline (Oxford University Press, 2018, 304 pages).
Andrea Lorenzo Capussela, juriste bénéficiant d’une forte expérience dans l’administration internationale du Kosovo, livre ici une analyse qui mêle science politique, économie et droit en vue d’éclaircir la question du déclin italien. L’auteur constate d’abord la faiblesse du taux de croissance et de productivité, l’augmentation de la pauvreté et la menace que la dette italienne fait planer sur la stabilité de l’Union européenne. Il formule ensuite une hypothèse explicative, élabore un cadre conceptuel et développe une argumentation couvrant l’histoire du pays de 1861 à nos jours.
L’hypothèse est claire : le modèle de croissance de l’Italie, utile pour assurer la convergence avec les pays les plus développés (surtout les États-Unis) après la Seconde Guerre mondiale, n’est plus adapté à une économie désormais proche de la « frontière technologique ». Au début des années 1990, les crises politiques et économiques qu’a connues l’Italie résultaient de la détérioration du système économique et ont représenté une opportunité ratée de changer de paradigme. L’image suggérée est ici celle d’une spirale, utilisant en couverture le magnifique escalier hélicoïdal du palais Barberini réalisé par l’architecte baroque Francesco Borromini. À partir des années 1960, les premiers éléments de ce cercle vicieux sont introduits : un État de droit faible, une logique clientéliste et une assistance sociale segmentée. Ces distorsions se sont multipliées et mutuellement renforcées. Ainsi, la divergence entre institutions formelles et institutions réelles a-t-elle commencé à s’accentuer, pour devenir aujourd’hui très importante.
Le diagnostic est convaincant en ce qu’il se fonde sur l’analyse d’un riche éventail d’études empiriques et apporte de la cohérence aux diverses interprétations avancées jusqu’ici. La diffusion de la corruption et de la fraude fiscale est l’un des exemples qui montrent les problèmes de l’action collective et de la différence entre préférences affichées et préférences « latentes » de la population. Lorsque les citoyens se rendent compte que l’illégalité est tolérée, ils s’adaptent en se comportant d’une manière plus proche de l’illégalité, puisque cette conduite est la plus rationnelle dans le contexte donné. Ce n’est que dans des moments de rupture que cet opportunisme peut être brisé : par exemple, en 1992, les enquêtes judiciaires sur la corruption des partis politiques au pouvoir ont montré la possibilité d’un nouvel ordre, et les préférences latentes de la citoyenneté pour une organisation de la société plus juste et efficiente ont émergé sous forme d’un vaste soutien populaire pour les magistrats.
L’absence de proposition crédible susceptible de déboucher sur une véritable alternative a réactivé la spirale, caractérisée par la tolérance sociale pour la corruption, une faible responsabilité de la classe politique (dont la qualité moyenne a baissé), une administration publique toujours inefficace, et une collusion entre élites politiques et économiques empêchant toute destruction créatrice schumpétérienne susceptible de menacer leurs rentes. Malgré tout, l’auteur invite à mener une bataille d’idées qui permettrait un changement d’équilibre sur le long terme.
Giuseppe Bianco
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