Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°3/2018). Thomas Bouvatier propose une analyse de l’ouvrage de Julia Ebner, The Rage: The Vicious Circle of Islamist and Far-Right Extremism (I. B. Tauris, 2018, 224 pages).
The Rage décrit la relation gagnante-gagnante entre l’ultra droite et l’islam intégriste. Connu sous le nom de « radicalisation réciproque », ce cercle vicieux a largement été sous-exploré.
Le livre de Julia Ebner, issu d’une recherche de terrain, a ainsi le grand mérite d’analyser scrupuleusement les points communs de la rhétorique des deux jusqu’au-boutismes : critique virulente du « système », accusation des membres du camp opposé de souiller ou violer le corps des femmes, incitation à la guerre comme unique solution… Le discours victimaire de l’un trouve ainsi une justification dans le discours diabolisant de l’autre, avant de le diaboliser lui-même, lui permettant de se victimiser, etc. Le jeu politique est bien rodé et aboutit à la symétrie des cris de ralliement : « Non à l’islamisation de l’Occident ! » et « Non à l’occidentalisation de l’islam ! »
L’ouvrage s’attache d’abord à comprendre comment les extrémistes de droite et les fondamentalistes islamistes ont exploité les problématiques et les opportunités actuelles de la société occidentale pour faire triompher leurs histoires en noir et blanc. Après avoir disséqué leurs idées, leurs motivations et leurs manifestations, The Rage montre comment la montée de la politique identitaire face à l’immigration, et l’effondrement du centre ont aidé leur développement. De même, le rôle des médias dans l’amplification des actions extrémistes est évalué, en examinant les nouvelles dynamiques de la propagande, du sensationnalisme, des faits alternatifs et des fausses nouvelles.
L’auteur explore ensuite l’interaction de la construction narrative entre l’État islamique et les militants d’extrême droite. Enfin, en utilisant les connaissances acquises sur le terrain, Julia Ebner donne un aperçu des foyers de « radicalisation réciproque » les plus dangereux du monde, principalement en Europe et aux États-Unis. Pour conclure, et avant d’offrir quelques idées sur la voie à suivre, elle reprend les histoires de personnes qui ont contribué concrètement à briser ce nouveau cercle vicieux de la peur et de la haine.
À force de négliger les origines historiques de l’extrême droite (en rapport à l’extrême gauche), et de l’islam radical (en rapport à l’islam des Lumières), cet essai peut nous faire croire que les deux pôles n’existent que dans leur rencontre, et non distinctement. De même, on peut s’interroger sur l’opportunité de mettre les termes « extrême droite » et
« Daech », ou « djihadisme », sur un même niveau. Nazisme ou néonazisme sembleraient mieux correspondre à l’État islamique dans sa violence rhétorique, tandis que l’extrême droite peut être davantage comparée à l’association des Frères musulmans, avec leurs positions ultra-conservatrices et leur désir politique d’accéder à un passé idéalisé. De même, les deux servent souvent d’incubateurs à ceux qui finissent par préférer le passage à l’acte. Enfin, il aurait été intéressant d’ajouter l’étude d’autres groupes, comme l’ultra-gauchisme violent, afin de définir, non un langage dual, mais structurel à la source d’associations, de ruptures et de luttes entre des pôles identitaires agressifs.
Néanmoins la lecture de cet ouvrage semble essentielle pour comprendre le danger qu’il y aurait à répondre à une radicalisation par une autre radicalisation. Si l’un a besoin de la haine de l’autre, alors une des meilleures réponses consiste en effet à garder à l’esprit qu’ils ont plus à voir entre eux qu’avec le reste de la population.
Thomas Bouvatier
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