Suite au sondage réalisé sur ce blog, nous avons le plaisir de vous offrir en cette rentrée l’article du numéro d’hiver 2018-2019 – disponible dès demain – que vous avez choisi d'(é)lire : « Où va l’Afghanistan ? », écrit par Jean-Luc Racine, directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et chercheur senior à Asia Centre.
Derrière la tragique litanie des attentats et la multiplication des initiatives appelant à un dialogue inter-afghan pour sortir le pays d’une suite de guerres ouverte voici bientôt quarante ans, où va l’Afghanistan ? Quatre ans après l’arrivée au pouvoir d’Ashraf Ghani, l’incertitude prévaut sur tous les plans : sécuritaire, politique, et économique. Pour autant, le régime affaibli ne s’effondre pas, et les talibans ne peuvent garder plus de quelques jours les rares capitales provinciales qu’ils tentent de conquérir, telles Kunduz en 2015 et Ghazni en 2018. Cet apparent enlisement ne doit toutefois pas faire penser que rien ne bouge : la société afghane s’éveille, les talibans s’interrogent sur la ligne à suivre, et l’apparition des émules de Daech mobilise Russes et Chinois, qui entendent prendre la main pour contrer la menace, tandis que l’administration Trump parle aux talibans. Alors que le pays s’enfonce dans la crise, un nouveau Grand Jeu se dessine, sans claires perspectives de paix.
Le cœur du problème : la situation sécuritaire
Après les attentats du 11 septembre 2001, l’intervention américaine en Afghanistan renversa en deux mois le régime taliban, avec l’appui des milices de l’Alliance du nord, d’ethnies tadjike et ouzbek. L’objectif premier était apparemment atteint : éradiquer la menace terroriste d’Al-Qaïda et de ses soutiens afghans. L’autre ambition affichée, la reconstruction du pays, impliquait une politique de long terme. Choisi comme leader de l’Afghanistan post-talibans lors de la conférence de Bonn fin 2001, le Pachtoune Hamid Karzai fut confirmé par les élections présidentielles de 2004, et réélu en 2009. Mais la campagne de contre-insurrection lancée par les Américains et leurs alliés de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) pilotée par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) sous mandat de l’Organisation des Nations unies (ONU), n’obtint pas les résultats escomptés, et la complémentarité entre militaires et agences étatiques ou internationales eut bien du mal à mettre en œuvre les trois volets de la contre-insurrection – « nettoyer, tenir, construire » –, au service d’une stratégie visant à
« prévenir la résurgence des talibans et à développer le soutien à la coalition et au gouvernement afghan ».
La fluctuation des forces étrangères : de la Force internationale
d’assistance à la sécurité à la mission Soutien résolu
Dès 2004, et a fortiori après 2007, les talibans, dont le leadership s’était réfugié
au Pakistan, commencèrent à retrouver du poids sur le terrain afghan, multipliant attentats-suicides et bombes artisanales. Jugeant le statu quo intenable, Barack Obama annonça en 2009 un sursaut (le surge) temporaire de 30 000 hommes, achevé en 2011, quand la FIAS compta plus de 132 000 hommes, dont 90 000 Américains. Fin 2012, ces forces tombèrent à 100 000 hommes, et à 84 000 un an plus tard. En novembre 2014, la FIAS ne comptait plus que 28 000 hommes, dont 18 000 Américains. Le président Obama avait annoncé dès juin 2011 ce retrait, par phases. Le sommet de l’OTAN de Chicago, en mai 2012, confirma que la mission de la FIAS prendrait fin en décembre 2014, l’essentiel des forces étrangères ayant alors quitté l’Afghanistan, Obama pensant retirer la totalité de ses troupes en 2016, avant la fin de son second mandat.
De façon surprenante, Washington et l’OTAN faisaient ainsi coïncider en 2014 la transition militaire avec la transition politique imposée par la fin du second mandat d’Hamid Karzai : calendrier d’autant plus problématique que les élections présidentielles afghanes d’avril-juin 2014, à la légitimité contestée, ne virent le nouveau président Ashraf Ghani prendre ses fonctions que fin septembre, après des mois de tractations sous médiation américaine avec son concurrent Abdullah Abdullah, promu « Chief Executive Officer » d’un « gouvernement d’union nationale » devant faire ses preuves dans un contexte très difficile. Sitôt en fonction, le nouveau gouvernement signa l’accord sur le statut des forces, maintenant sur le sol afghan les troupes étrangères.
Washington et l’OTAN avaient commencé à former les forces afghanes (armée et police nationale) qui, dès 2013, ont élargi leurs responsabilités sur le terrain, avant de couvrir l’ensemble des provinces fin 2014, la nouvelle tâche de l’OTAN étant, sous le nom de Mission de soutien résolu (RSM), d’« aider les institutions et les forces de sécurité afghanes à développer la capacité de défendre l’Afghanistan et de protéger durablement ses citoyens », sous le triptyque « former, conseiller et assister ». En fait, à la mission non-combattante affichée, s’ajoutèrent des forces spéciales américaines chargées de protéger les positions de leur pays, et d’intervenir auprès des forces afghanes en cas de besoin, avec appui aérien si nécessaire. Elles ont joué un rôle décisif dans la reprise de Kunduz et de Ghazni aux talibans. Quand le président Trump prend ses fonctions en janvier 2017, la RSM compte 13 300 hommes, dont 6 941 Américains. Sept mois plus tard, en définissant sa nouvelle politique en Asie du Sud, Trump concède avoir écouté ses généraux et, contre son intuition première, accepte de renforcer les troupes en Afghanistan, considérant que
« les conséquences d’un retrait rapide seraient prévisibles et inacceptables ». En juin 2018, la RSM compte 16 000 hommes de 39 nations, dont 8 475 Américains.
Poussée talibane et résilience des forces afghanes
Le revirement de Trump, comme les fluctuations de la politique d’Obama, illustrent l’incapacité des forces de l’OTAN à venir à bout des talibans. Certes l’élimination d’Oussama ben Laden dans une ville de garnison pakistanaise, le 2 mai 2011, a marqué une victoire du président Obama, qui avait toutefois noté, deux ans plus tôt, qu’au-delà d’Al-Qaïda, des « défis considérables » perduraient en Afghanistan, notant que « les talibans ont pris de l’élan ».
Près de dix ans plus tard, l’élan des talibans s’est confirmé, tandis que monte une nouvelle menace, celle de la branche régionale de Daech, l’État islamique-Khorassan (IS-K). La violence s’est accrue au fil des ans : près de 6 000 victimes civiles dont 2 412 morts en 2009 ; plus de 10 000 victimes dont 3 438 morts en 2017, le pic ayant été atteint en 2015 et 2016, après le retrait de l’essentiel des forces de l’OTAN (plus de 11 000 victimes dont plus de 3 500 morts chaque année). (…)
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