Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2018)
. Rémy Hémez, ancien collaborateur du Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Jeffrey Lewis, The  2020 Commission Report on the North Korean Nuclear Attacks against the United States: A Speculative Novel (Houghton Mifflin Hartcourt, 2018, 304 pages).

Les œuvres de fiction peuvent être fécondes pour l’étude des relations internationales et de la stratégie. Jeffrey Lewis – chercheur au Middlebury Institute of International Studies et fondateur du blog Arms Control Wonk, référence en matière de désarmement, contrôle des armements et non-prolifération – nous en offre un bel exemple.

Son récit prend la forme d’un rapport rendu en mai 2023 par la « Commission 2020 » mise en place pour faire la lumière sur des événements dramatiques qui se sont déroulés le 22 et 24 mars 2020 : une attaque nucléaire nord-coréenne visant la Corée du Sud, le Japon (1,4 million de morts et 5 millions de blessés au total) et les États-Unis (1,4 million de morts et 8 millions de blessés).

Ce rapport-fiction est riche en enseignements. D’abord, il met l’accent sur le fait que la guerre nucléaire est loin d’avoir disparu du champ des possibles. Ensuite, il souligne la complexité de la gestion de l’escalade lors de crises internationales majeures. Il met aussi en relief la très grande difficulté à comprendre la psychologie de « l’autre », et à interpréter ses actes. Enfin, la part incompressible du hasard est parfaitement mise en lumière.

L’enchaînement des faits déclenchant la crise nucléaire est symptomatique. Dans un contexte de tensions après l’échec de négociations sur le désarmement nucléaire, la destruction du vol BX411 de la compagnie sud-coréenne Air Busan par deux missiles KN-06 nord-coréens déclenche un engrenage funeste. Cet acte résulte lui-même de problèmes techniques qui ont touché l’avion et poussé l’équipage à emprunter une route très proche de celle des bombardiers américains engagés depuis des mois dans des tests systématiques des défenses anti-aériennes nord-coréennes.

Les arcanes du pouvoir sud-coréen sont bien décrits. Le livre présente, par exemple, les difficultés pratiques liées à la configuration du complexe présidentiel, qui obligent les conseillers à marcher au moins dix minutes dans des souterrains avant de pouvoir rejoindre la salle de crise et donc à perdre un temps précieux. La stratégie, les plans et les moyens mis en œuvre par Séoul dans le cadre d’une riposte (avec en particulier la place centrale des missiles balistiques) sont aussi très bien exposés. Les développements techniques de Jeffrey Lewis sur la défense anti-missile américaine – incapable, dans le récit, d’intercepter les 13 missiles intercontinentaux nord-coréens – et sur la campagne aérienne américaine pour détruire les missiles de Pyongyang avant leur lancement sont convaincants. Un Donald Trump réaliste est au cœur du récit. L’auteur ne manque pas d’humour à son propos, mais il met surtout en avant les grandes difficultés qu’éprouve l’entourage du président pour le « gérer », et les problèmes que cela pose au cours de la crise. Enfin, l’auteur nous rappelle à la réalité d’une guerre nucléaire en décrivant l’ampleur des destructions causées et, surtout, en adaptant dans sa narration des témoignages poignants de victimes d’Hiroshima.

Jeffrey Lewis signe une excellente fiction se lisant comme un roman et qui est très instructive sur de nombreux sujets. Sa lecture est chaudement recommandée à tous ceux qui étudient les relations internationales, les questions nucléaires ou encore les enjeux stratégiques autour de la péninsule coréenne.

Rémy Hémez

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