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L’article « A la recherche de nouvelles formes de sécurité européenne » a été écrit par Pierre Harmel, à l’époque ministre des Affaires étrangères de Belgique, dans le numéro 2/1971 de Politique étrangère.
Si l’on parle beaucoup maintenant de la sécurité européenne et des moyens de l’assurer, il convient sans doute de préciser qu’il s’agit d’une nouvelle forme de paix et de stabilité. La sécurité existe en Europe ; c’est un fait qui a permis au Continent de panser des plaies et d’accéder à un niveau de prospérité jamais égalé. Mais cette sécurité ne nous satisfait pas. Elle est basée sur l’équilibre des blocs militaires, sur l’équilibre de la terreur. Nous aspirons à un système plus humain, plus en rapport avec notre héritage chrétien et humaniste et les lois de la raison et de la justice.
Mais l’édification d’un système nouveau nécessite une approche progressive du problème, en procédant par étapes successives. Les enjeux sont trop grands pour que l’on puisse prendre des risques non calculés, abandonner une sécurité pour courir l’aventure. Ce sera donc une tâche de longue haleine et nous ne devons pas nous dissimuler que nous connaîtrons des temps d’arrêt, et sans doute même des reculs temporaires. Nous croyons que l’Europe se pacifiera « de proche en proche » : l’unification de l’Europe occidentale en sera un facteur primordial ; la coexistence des États de régime démocratique et des États de régime communiste constituera un deuxième pôle de pacification.
I. L’Europe occidentale
Personne ne peut oublier l’histoire. Deux fois en ce siècle, les pays européens occidentaux se sont dressés les uns contre les autres dans des conflits meurtriers et ont entraîné avec eux presque toute la planète dans la catastrophe.
C’est alors — et cela tient sans doute du miracle — que la réconciliation franco-allemande, imaginée et réalisée par un Français de Lorraine et un Allemand de Rhénanie — Robert Schuman et Konrad Adenauer — ont jeté les bases de l’intégration de l’Europe occidentale en mêlant les industries qui, pendant 80 ans, avaient forgé, les unes contre les autres, les canons de trois guerres.
Cette unification progressive de l’Europe occidentale, basée sur la situation géographique, les affinités intellectuelles, politiques, sociales et traditionnelles est indiscutablement un facteur de paix. On ne peut douter que lorsque cette Europe de l’Ouest se sera élargie et unifiée pour comprendre quatre grands pays et six moyens ou petits, non seulement les conflits armés entre ces États seront devenus inconcevables ; ces tentations de l’hégémonie ou de l’aventure ne sauront gagner une région où la majorité des États n’a jamais conçu de rêve belliqueux.
Ainsi l’interdépendance et l’emmêlement d’un nombre grandissant d’intérêts sont-ils en eux-mêmes garants de paix à l’endroit même où tant d’incendies s’étaient allumés.
II. L’Europe entière
Si l’on élargit l’angle de vision, si l’on songe à l’Europe entière, on peut sans doute affirmer que ces liens nouveaux ont empêché la guerre froide de dégénérer en troisième guerre mondiale. Cette interdépendance se complète heureusement par les solidarités défensives de l’Atlantique.
Cette situation d’équilibre a rendu concevable la notion de coexistence qui a débouché sur la détente d’abord, et demain peut-être sur l’entente.
Car sans être naïvement optimiste, on peut constater que la politique de réduction des tensions menée par l’ensemble des Puissances occidentales a déjà porté des fruits. Les relations politiques, économiques et même humaines entre les différentes parties de l’Europe sont bien meilleures à l’heure actuelle qu’au début des années 60. Il s’est noué entre les États à régimes sociaux différents tout un réseau d’accords bilatéraux qui ont élargi et renforcé les relations dans les domaines industriel, technique, commercial, culturel, et touristique. Ces accords, conclus par la très grande majorité des pays européens ont ouvert la voie à une collaboration internationale inespérée et qui trouve inéluctablement une répercussion dans le domaine politique.
Un exemple frappant est offert par les efforts de normalisation des relations de la R.F.A. avec les pays de l’Est. La « Ostpolitik » du gouvernement de Bonn est une manifestation spectaculaire et bienvenue de cette opération de détente voulue par l’ensemble des pays de l’Occident européen. On ne peut nier l’ampleur des progrès réalisés depuis la reprise en 1967 des relations entre la R.F.A. et la Roumanie, qui avait été appréciée en sens divers à l’époque. Les accords conclus à Moscou et à Varsovie permettent de mesurer le chemin parcouru.
Le tableau des progrès ne serait pas complet si l’on ne soulignait pas l’importance de la mise en œuvre du Traité de non-prolifération nucléaire. Les restrictions qu’il impose aux pays non-nucléaires et les obligations qu’il crée pour les puissances nucléaires de réduire leurs armements atomiques sont un élément primordial dans les calculs de sécurité. C’est une des raisons qui nous poussent à suivre avec un intérêt soutenu les conversations entre l’U.R.S.S. et les États-Unis sur la limitation des armes stratégiques.
Si nous pouvons dresser de la sorte un bilan relativement satisfaisant, nous ne pouvons cependant pas nous laisser aller à un optimisme facile. Si l’Europe a fait un bout de chemin sur la bonne voie, elle est encore loin du but. Sans doute est-elle prête à des liens plus intimes, à des relations élargies et multipliées, mais il ne semble pas qu’elle soit déjà mûre pour édifier dès maintenant un système nouveau et global de sécurité. Il serait sans doute prématuré de songer par exemple à un accord de sécurité régionale du type prévu par l’article 52 de la Charte des Nations unies. Pareil accord, qui garantirait la concorde dans l’Europe entière, par l’établissement de règles et d’instruments de concertation et d’arbitrage des différends, présuppose un respect des règles acceptées par tous concernant l’égalité réelle des États, et de la non-ingérence dans les affaires des autres.
Des épreuves trop récentes montrent que, pour tempérer les politiques de puissance par l’instauration de la sécurité collective, des transitions sont nécessaires. De plus, certains problèmes encore litigieux doivent trouver une solution, notamment en ce qui concerne la situation à Berlin. Il faut donc vouloir pareils accords de sécurité régionale pour l’Europe, non pas comme un objectif immédiatement réalisable, mais comme un but ultime, que Ton atteindra d’étape en étape.
En attendant, il faudra notamment accepter les organisations militaires multilatérales existantes. Celles-ci ne sont pas la cause des tensions et des divisions, mais leurs résultats. Elles reposent sur la réalité des affinités idéologiques et la concordance des intérêts. Elles ont assuré la sécurité dans des temps difficiles et devront conserver ce rôle tant que les circonstances ne permettront pas de les remplacer par une organisation du type esquissé plus haut.
Mais avant d’atteindre cet objectif final de nouveaux progrès sont déjà possibles. Sur le chemin de la sécurité régionale européenne, le moment arrive où il faut tenter d’accomplir certains objectifs intermédiaires qui auraient déjà une grande portée. On peut en effet concevoir que les accords bilatéraux de coopération économique et sociale dont nous avons parlé précédemment deviennent multilatéraux et que des pactes de renonciation à la force, tels ceux qui viennent d’être signés entre la R.F.A. et l’U.R.S.S. et la Pologne, s’intègrent dans une redéfinition solennelle et collective des grands principes qui doivent régir les relations entre tous les États européens sans distinction ni restriction.
C’est dans cette optique qu’il faut envisager les possibilités et le rôle d’une Conférence de la Sécurité européenne qui réunirait tous les pays d’Europe, ainsi que le Canada et les États-Unis. Mais les problèmes que pose une Conférence et ceux qui se poseraient à elle sont tels qu’il faudrait sans doute plusieurs conférences pour aboutir à établir sur notre Continent la paix et la stabilité dans le respect de la justice et des droits des États et des peuples.
Il faut donc créer en Europe un climat propice à pareille entreprise. Ce climat favorable présuppose une volonté générale et un espoir raisonnable d’aboutir à des solutions concrètes.
Il faut aussi que les points de tension extrême aient été neutralisés ou éliminés. Les pays de l’Ouest sont conscients à la fois de l’utilité d’une Conférence et des conditions nécessaires à une réunion fructueuse. Le grand mérite du Communiqué final de la Réunion du Conseil de l’O.T.A.N., à Bruxelles en décembre dernier, est d’avoir clairement défini la position des Alliés dans cette question. La Belgique fait sienne cette position qui correspond à sa politique dynamique de la détente, en sauvegardant néanmoins la prudence nécessaire et la cohésion de l’Alliance, base de notre sécurité.
L’Alliance a, en effet, manifesté son désir de progresser et d’entamer les contacts multilatéraux qui permettraient sans doute de mettre au point les modalités, le cadre et les procédures d’une Conférence de la Sécurité. Mais les Alliés estiment que sur des points concrets d’ailleurs précisés au § 7 al. 2 dudit communiqué, l’abcès de Berlin doit avoir été vidé et être en voie de guérison si l’on veut vraiment aborder avec réalisme, et tous ensemble, les problèmes ultérieurs de la détente et de la sécurité. La question de Berlin n’a pas été choisie par les Alliés ; elle s’est imposée par la force des choses.
Il paraît en effet inconcevable de tenir une conférence générale dans une atmosphère de sérénité tant que subsiste au cœur de l’Europe cette pomme de discorde. Celle-ci est une séquelle de la dernière guerre, et à ce titre elle ne concerne en rien les Puissances neutres ou qui n’ont pas été engagées dans la dernière guerre qui n’entendent dès lors pas intervenir dans la liquidation d’un conflit où elles n’ont pas été impliquées. Malgré les inquiétudes que la situation leur inspire, la plupart des pays membres des alliances militaires ne sont pas principalement concernés, puisque la responsabilité de l’avenir de Berlin incombe au premier chef aux quatre Grands. Il importe donc de retirer au préalable cette question toute spéciale du contentieux européen. […]
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