Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère
(n° 3/2019). John Seaman, chercheur au Centre Asie de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Rhys Jenkins, How China Is Reshaping the Global Economy: Development Impacts in Africa and Latin America (Oxford University Press, 2019, 432 pages).
L’essor économique de la Chine est un élément structurant du système international des dernières décennies (et vraisemblablement de celles à venir), mais aussi un sujet qui polarise. Sur l’impact de cet essor sur les pays du Sud, notamment en Afrique subsaharienne et en Amérique latine, les avis sont souvent partagés entre ceux qui voient le mercantilisme chinois comme une nouvelle forme de colonialisme, et ceux qui perçoivent la Chine comme l’opportunité du siècle pour sortir de la pauvreté et stimuler la croissance et le développement.
Entre ces deux visions, l’ouvrage de Rhys Jenkins propose une analyse que l’auteur souhaite nuancée, objective et désengagée de l’impact – économique, politique, social et environnemental – qu’a eu l’émergence (avant tout économique) de la Chine sur ces deux régions. L’auteur juge la situation moins alarmante que ne le pensent certains, mais non sans problèmes (parfois profonds et majeurs, sur le plan environnemental par exemple), lesquels varient souvent en fonction du pays et/ou du secteur économique en question.
Deux constats semblent importants pour cadrer l’analyse. D’abord, « la Chine » est pour l’auteur un ensemble d’acteurs divers et variés : ministères, banques publiques, entreprises d’État centrales et locales, entreprises privées, entrepreneurs… Caractériser un comportement proprement chinois dans ce contexte est difficile, sinon impossible. Chacun de ces acteurs semble poursuivre son propre intérêt, très souvent commercial et en général sans a priori politique (sauf quand la reconnaissance politique de Taipei est en cause).
L’auteur souligne ensuite l’importance du contexte local – l’état du développement économique, le poids du cadre institutionnel, et le rôle des acteurs locaux, dimension trop souvent oubliée dans les analyses de ce type. Il ne vise pas nécessairement à déresponsabiliser les acteurs chinois des déboires, mais explique que l’impact économique, social et environnemental des activités chinoises dans les pays en question est très fortement influencé par les réalités locales. Profiter pleinement de la demande chinoise en matières premières, par exemple, suppose que l’État puisse investir dans les infrastructures et consolider les bases d’une croissance économique à venir.
L’ouvrage est riche en analyse et présente un très bon aperçu de l’impact de l’émergence économique chinoise des dernières décennies sur ces deux régions. Il reste pourtant limité en termes de prospective. La place du projet phare de Pékin des Nouvelles routes de la soie – ce vaste projet de diplomatie économique – n’est analysé que brièvement en conclusion. Dans son analyse de la libéralisation de l’économie chinoise, l’auteur ne se prononce pas non plus sur le virage autoritaire des cinq dernières années. Ce virage consolide pourtant le rôle de l’État, et notamment du Parti communiste, dans l’économie, ce qui aura nécessairement des implications pour les choix des acteurs économiques eux-mêmes. Enfin, la dimension technologique – par exemple l’importance de Huawei ou ZTE dans le développement des réseaux de télécommunications – n’est pas explorée, alors qu’elle aura des conséquences importantes dans les années à venir. L’approche rigoureuse et objective de l’auteur reste néanmoins très pertinente et précieuse dans un contexte où le débat sur la Chine s’annonce clivant.
John Seaman
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