Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère
(n° 3/2019). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Anthony King, Command: The Twenty-First-Century General (Cambridge University Press, 2019, 484 pages).
Anthony King, professeur de war studies à l’université de Warwick, entend bâtir une théorie du commandement militaire au XXIe siècle en le comparant à celui du XXe siècle. Pour y parvenir, il étudie le niveau divisionnaire à ces deux périodes aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France et en Allemagne. Sa thèse est que le commandement est en transition. Le modèle « individuel » qui a survécu jusqu’à la fin du XXe siècle n’est en effet plus adapté à la complexité croissante des opérations.
L’auteur explique d’abord ce qu’est une division et revient sur son évolution de 1916 à 2018. Puis il s’attache à définir le commandement et à le caractériser en trois fonctions intimement liées : définir la mission, conduire les tâches qui mènent à son accomplissement (le management) et motiver les hommes (le leadership).
Anthony King analyse ensuite les caractéristiques des opérations du XXe siècle. Elles sont de grande ampleur mais d’une mécanique relativement simple. Le nombre des unités à commander dans une division est limité (trois brigades d’infanterie ou de cavalerie, des éléments d’appui et de logistique). Le front et la profondeur d’engagement sont relativement réduits. Les généraux étudiés par l’auteur (John Monash, Erwin Rommel, Bernard Montgomery, Rupert Smith) ont leur propre style, mais un point commun : ils commandent seuls, assistés d’un état-major très réduit. Les meilleurs chefs sont alors ceux qui parviennent à créer un lien direct avec leurs hommes. Un constat aussi valable en contre-insurrection, comme le démontre le cas du général Massu lors de la bataille d’Alger.
À la moitié de l’ouvrage, King passe à l’examen du commandement au XXIe siècle. Il revient d’abord sur l’expérience du Regional Command South du général britannique Carter en Afghanistan entre octobre 2009 et novembre 2010. Ce dernier doit remplir une mission de contre-insurrection complexe à la tête d’un état-major de 800 personnes, dont six généraux de brigade. L’autre cas historique exploré est celui d’une opération de haute-intensité. Le général Mattis, à la tête de la 1ère division de Marines lors de l’invasion de l’Irak en 2003 – soit 20 000 hommes, 8 000 véhicules et une composante aérienne très puissante – doit mener une offensive de 500 kilomètres sur plusieurs axes passant par des villes majeures.
À la lumière des cas étudiés, le constat est clair : la division reste la formation tactique décisive, mais elle a profondément évolué. Les chefs militaires ne peuvent plus commander seuls des opérations devenues bien plus complexes, où il faut coordonner des capacités très diverses (artillerie, hélicoptères, drones, etc.), intégrer des unités de plusieurs pays, traiter des masses d’informations toujours plus grandes, agir dans des espaces temporel et géographique considérablement élargis, appliquer la force militaire avec précision, et où les enjeux sont politisés. Pour répondre à ces multiples défis, la structure de l’état-major s’est « globalisée ». Le commandement est désormais collectif, des équipes de professionnels ont pris la place des généraux et de leur coup d’œil…
La démonstration d’Anthony King est limpide et rend l’ouvrage éclairant et agréable à lire. Les cas étudiés sont très riches, notamment parce qu’ils viennent de nombreux entretiens menés par l’auteur. Même s’il n’aborde que le niveau divisionnaire, ce livre est une référence incontournable sur le commandement des opérations militaires aux XXe et XXIe siècles.
Rémy Hémez
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