Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2019). Sophie Boisseau du Rocher propose une analyse de l’ouvrage de Jonathan Holslag, The Silk Road Trap. How China’s Trade Ambitions Challenge Europe (Polity Press, 2019, 232 pages).

Le projet pharamineux des Routes de la soie de Xi Jinping est un piège, qui risque de se refermer sur l’Europe sans que celle-ci ait rien vu venir. Cet ouvrage est autant une attaque critique du projet chinois, projet dûment orchestré par le pouvoir communiste (il a été inscrit dans la Constitution lors de la révision de 2017), qu’un long reproche adressé à l’Union européenne (UE) et à ses membres qui ne prennent pas la mesure du défi posé.

Pour de multiples raisons, il est difficile de comprendre et de jauger les conséquences systémiques des Routes de la soie, et Jonathan Holslag, dans un chapitre introductif, appelle les Européens à faire preuve de réalisme. Le projet chinois n’est pas précisément renseigné, car il n’existe aucune liste complète, à jour, et publique, des investissements réalisés dans ce cadre. Le flou, habilement entretenu par les partenaires chinois, permet donc de faire dire ce qu’on veut aux Routes de la soie, et les ambassadeurs du projet ne manquent pas de systématiquement rappeler qu’il s’agit d’opportunités que l’Europe ne devrait pas manquer. Mais quels sont les coûts cachés de ces opportunités, interroge Holslag ? Quelles seront les conséquences de nos choix pour les futures générations ? Au-delà des effets de propagande qui jouent de notre ignorance, l’auteur nous invite à prolonger notre analyse « plus loin et plus profondément ».

Pour aborder ce projet (dé)structurant, l’Europe apparaît en situation affaiblie. Dans un deuxième chapitre bien documenté, l’auteur explique comment l’Europe n’a pas tenu ses engagements et n’a pas réussi à imposer les conditions qu’elle jugeait nécessaires à Pékin ; alors que différents documents officiels annonçaient que l’UE soutenait une transformation vers plus « d’ouverture et de liberté », alors que Bruxelles contribuait au financement des transitions (notamment pour intégrer l’Organisation mondiale du commerce) sans contrepartie, les autorités chinoises ont bercé leurs homologues européens d’illusions tout en mettant en place des pratiques déloyales et divisives. Au fond, après avoir passé en revue les déceptions européennes, la question mérite d’être posée : est-il avéré que l’opportunité chinoise soit bonne pour l’Europe ?

La lecture ne laisse aucun doute : pour Holslag, les Routes de la soie sont d’abord l’expression d’une ambition chinoise, débordante et méthodique dans son expansion. En dépit de leur aspect « fumeux » – et donc difficilement appréhendable –, les Routes de la soie sont nourries par une approche stratégique nationaliste, voire patriotique. On est loin de la promesse gagnant/gagnant avancée par Pékin ; à terme, ce projet confronte l’Europe à des défis industriels, technologiques, voire institutionnels.

Si cet ouvrage fait l’effet d’un coup de semonce utile, on reste toutefois sur sa faim. Certes, on peut être convaincu par l’argument que les Chinois nous tendent un piège ou, plus justement, que leur approche est piégeuse. On peut reconnaître que l’Europe n’a pas été suffisamment vigilante, à une période où les Chinois étaient plus accessibles, mais la question cruciale, que Holslag n’aborde qu’à fleurets mouchetés, est bien celle-ci : aujourd’hui, comment peut-on sauver ce qui peut être encore sauvé et engager avec Pékin un dialogue enfin réciproque ?

Sophie Boisseau du Rocher

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