Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2019). Thierry Coville propose une analyse de l’ouvrage d’Amin Saikal, Iran Rising. The Survival and Future of the Islamic Republic (Princeton University Press, 2019, 344 pages).
Ce livre ne fait pas partie de ceux qui partent du principe que la République islamique d’Iran doit être condamnée. Il s’interroge en fait sur la capacité de résistance du système politique mis en place depuis la Révolution de 1979.
Pour comprendre cette résilience, ainsi que les forces et les faiblesses de la République islamique d’Iran, l’auteur s’appuie sur une analyse historique depuis la Révolution, et démontre que la République islamique d’Iran oscille, dans son mode de fonctionnement, entre deux types d’approches : 1) une approche liée au djihad, soit une vision combative de l’islam, qui a conduit, à travers la mise en place d’un ordre politique islamique, à installer un pouvoir fort en interne et à vouloir s’affirmer comme un pouvoir régional majeur ; 2) une approche basée sur l’idjtihad, soit une vision de l’islam basée sur la raison et l’adaptation aux circonstances, qui a conduit la République islamique d’Iran à accepter un certain pluralisme politique, et à faire preuve de pragmatisme en matière de politique étrangère, notamment, en développant des relations stratégiques avec la Chine, l’Inde ou la Russie.
L’auteur démontre bien que l’Iran n’est pas « isolé » comme on l’entend souvent, mais a développé un tissu de relations très dense, notamment dans son environnement régional proche, qui explique cette capacité de résistance. L’auteur insiste également sur le soft power de l’Iran, basé sur la présentation d’un modèle de « résistance islamique » aux agressions occidentales, mais aussi sur l’influence culturelle plus ancienne de la Perse.
On peut cependant faire un certain nombre de critiques à ce travail. Tout d’abord, en plusieurs occasions, comme pour l’évaluation du coût de la guerre avec l’Irak, ou en ce qui concerne le poids des Pasdaran et des Fondations dans l’économie iranienne, il ne semble pas que l’auteur ait fait preuve de la rigueur nécessaire. Sur le premier point, celui-ci évoque le coût très élevé de la guerre avec l’Irak, et d’une attitude d’opposition aux États-Unis. Il faudrait nuancer le propos. Les autorités iraniennes ont tout fait pour minimiser le coût de cette guerre, ce qui a différencié la stratégie iranienne de celle de l’Irak, qui s’est fortement endetté pour financer un effort de guerre plus conséquent. D’autre part, il est noté que les activités économiques des Pasdaran et des Fondations représenteraient 70 % de l’économie, ce qui semble pour le moins exagéré par rapport aux estimations habituelles.
Ensuite, la description de l’économie iranienne est basée sur un recours exagéré au modèle « rentier », lequel expliquerait la plupart des difficultés : or, la modernisation de la société iranienne doit beaucoup au fait que l’État a utilisé les revenus pétroliers pour financer ses dépenses, en matière d’infrastructures, d’éducation ou de protection sociale. Mais surtout, l’auteur n’insiste pas assez sur deux éléments. Tout d’abord, il aurait fallu développer beaucoup plus l’impact de la guerre Iran-Irak, qui a permis à la République islamique d’Iran de renforcer sa légitimité en s’appuyant sur le nationalisme iranien, et a marqué nombre de ses dirigeants actuels. Par ailleurs, la modernisation de la société iranienne, qui est sans aucun doute une des principales explications de sa résilience, aurait mérité de plus amples développements.
Thierry Coville
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