Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2020). Alain Antil propose une analyse de l’ouvrage de Seidik Abba et Mahamadou Lawaly Dan Dano, Voyage au cœur de Boko Haram. Enquête sur le djihad en Afrique subsaharienne (L’Harmattan, 2019, 96 pages).

Depuis la mutation, en 2009, de la secte Boko Haram en une impitoyable machine de guerre, le conflit initialement confiné au territoire de la confédération nigériane, et plus précisément des États du Yobe, de l’Adamawa et du Borno, s’est étendu progressivement aux pays voisins, Cameroun, Tchad et Niger. Le conflit a déjà causé des dizaines de milliers de victimes, 27 000 selon les auteurs, plus de 40 000 selon d’autres sources, en grande majorité au Nigeria. Ces victimes ont été causées à la fois par le mouvement djihadiste (scindé depuis en deux entités[1]) mais également par les forces armées nationales, et principalement l’armée nigériane et ses supplétifs (Civilian Joint Task Force).

Cet ouvrage se penche en particulier sur la partie nigérienne du conflit, même si d’évidentes continuités anthropologiques et économiques lient fortement le sud-est du Niger et le nord-est du Nigeria – ce qui explique que le Niger fut concerné par le conflit bien avant que n’advienne la première attaque de Boko Haram sur son territoire. Niamey a depuis lors mis en place une stratégie contre-insurrectionnelle dans la région de Diffa, qui s’appuie sur une réponse militaire mais également sur des déplacements forcés de villages (pour assécher le recrutement) et la fermeture de la frontière pour couper les finances du mouvement djihadiste par la rupture des importants flux commerciaux de la zone.

L’une des dimensions de cette politique a été la mise en place fin 2016 d’un processus de démobilisation/déradicalisation/réinsertion pour les membres du groupe souhaitant le quitter. L’un des auteurs de l’ouvrage, M. L. Dan Dano, est d’ailleurs l’un des initiateurs de ce programme, appelé Repentir contre Pardon. C’est dans ce contexte que le livre est né, l’idée étant de donner la parole à des « repentis », et de montrer, grâce à la vingtaine de témoignages, la diversité des parcours. Ces témoignages sont judicieusement regroupés en plusieurs sections, qui éclairent différentes dimensions du phénomène : modes d’embrigadement ; instruction militaire et tactiques de combat ; écart entre le discours politico-religieux et le management interne du groupe, qualifié « d’escroquerie morale » par l’un des repentis ; et business model du mouvement.

L’apport du livre consiste à proposer au lecteur des sources de première main et une vision « par le bas » du mouvement djihadiste. En cela, il complète très utilement la littérature existante. Quelques réserves peuvent cependant être formulées : la faiblesse de la contextualisation – la lecture de l’ouvrage nécessite en effet des prérequis ; une bibliographie qui ne rend pas justice aux publications sérieuses sur Boko Haram, notamment aux deux colloques organisés à l’université de Diffa sur ce sujet ; la brièveté des témoignages proposés, frustrante : sans doute de véritables « récits de vie » auraient-ils apporté un matériau plus riche. Enfin, on aurait souhaité disposer d’un retour d’expérience sur ce programme Repentir contre Pardon, initiative intelligente de Niamey mais qui n’a malheureusement pas donné, selon des sources locales, beaucoup de résultats.


[1]. Le Boko Haram d’Abubakar Shekau rayonne surtout à partir du Borno, et en particulier de la forêt de Sambisa. L’Islamic State in West Africa Province (ISWAP) dirigé par Abu Musab Al-Barnawi est quant à lui principalement installé sur le lac Tchad et ses nombreuses îles.

Alain Antil

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