Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2020). Jean-Christophe Noël propose une analyse de l’ouvrage de Carl Benedikt Frey, The Technology Trap. Capital, Labour and Power in the Age of Automation (Princeton University Press, 2019, 480 pages).

Carl Benedikt Frey, économiste européen qui dirige le programme sur l’avenir du travail à l’université d’Oxford, s’est fait remarquer en 2013 en publiant avec Michael Osborne The Future of Employment. How Suceptible Are Jobs to Computerisation? Les deux auteurs y prédisaient que 47 % des emplois aux États-Unis pourraient être tenus par des machines dans les prochaines décennies, du fait des futurs progrès dans l’Intelligence artificielle.

Dans son nouveau livre, Frey poursuit ses travaux en les inscrivant dans la longue durée. Il tente de saisir comment les avancées technologiques ont influé sur la distribution de la richesse dans les sociétés au cours de l’histoire. Il estime, au final, que le changement technologique entraîne l’amélioration des conditions de vie sur le long terme ; mais, à court terme, ce changement peut transformer radicalement le marché du travail, et faire perdre des emplois à une partie de la population, sans aucune compensation. Un profond ressentiment animera donc ces perdants, qui n’hésiteront pas à provoquer des troubles politiques et sociaux.

Le livre est divisé en 5 parties. La première traite des technologies préindustrielles et montre que les propriétaires terriens avaient intérêt à limiter la diffusion des progrès pour conserver leurs privilèges. La deuxième partie étudie la révolution industrielle, et insiste sur les larges inégalités qu’elle a suscitées. Les dirigeants britanniques soutiennent alors les entrepreneurs pour asseoir leur suprématie commerciale, et assument de sacrifier une partie des travailleurs. Les chapitres suivants décrivent l’ère de la production de masse, durant laquelle les inégalités se réduisent et une classe moyenne émerge.

À l’inverse, dans sa quatrième partie, Frey montre que la révolution informatique provoque à nouveau de fortes tensions. Il note que les États américains où le nombre de robots a brutalement augmenté dans les entreprises ont basculé, de manière inattendue, dans le camp du candidat Trump en 2016. Il évoque enfin l’avenir dans une dernière partie, et propose quelques solutions pour limiter les risques sociaux.

L’effet de ces révolutions sur le marché du travail varie selon que les progrès sont labor-enabling ou labor-replacing. Dans le premier cas, la technologie favorise la création d’emploi, l’augmentation des revenus et la richesse d’un pays. C’est ce qui advient au cœur du xxe siècle. Dans le second, l’innovation se substitue au travail, et la technologie menace les emplois, réduisant les ressources des employés. C’est la tendance qui domine lors de la première révolution industrielle et aujourd’hui.

Frey livre ici un ouvrage passionnant et érudit. On pourra regretter une excessive concentration sur la Grande-Bretagne et les États-Unis. Les solutions avancées pour enrayer les effets pervers de la révolution digitale sont également quelque peu génériques. Il est certain que l’éducation doit être mieux adaptée, les laissés-pour-compte mieux pris en charge, et la richesse redistribuée autrement. Il n’en reste pas moins que ce livre pose d’excellentes questions, et met en garde sur les conséquences que nos sociétés devraient supporter si elles négligeaient de prendre en compte le coût humain de l’automatisation de nos systèmes de production.J

Frey livre ici un ouvrage passionnant et érudit. On pourra regretter une excessive concentration sur la Grande-Bretagne et les États-Unis. Les solutions avancées pour enrayer les effets pervers de la révolution digitale sont également quelque peu génériques. Il est certain que l’éducation doit être mieux adaptée, les laissés-pour-compte mieux pris en charge, et la richesse redistribuée autrement. Il n’en reste pas moins que ce livre pose d’excellentes questions, et met en garde sur les conséquences que nos sociétés devraient supporter si elles négligeaient de prendre en compte le coût humain de l’automatisation de nos systèmes de production.

Jean-Christophe Noël

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