Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2020). Guillaume Lasconjarias propose une analyse de l’ouvrage de Andreas Krieg et Jean-Marc Rickli, Surrogate Warfare. The Transformation of War in the Twenty-First Century (Georgetown University Press, 2019, 248 pages).
Les ouvrages sur la transformation de la guerre ressemblent souvent à un exercice de style visant à infirmer ou confirmer les vues de Clausewitz sur les relations entre un gouvernement, un peuple et une armée. Le livre d’Andreas Krieg et de Jean-Marc Rickli ne constitue pas une exception, les auteurs proposant un nouveau concept, une « nouvelle trinité », dans une démonstration avec laquelle on pourra ne pas être d’accord, mais qui s’appuie sur une réflexion nourrie, claire et agréable à lire.
Le postulat de départ des auteurs décrit le monde actuel dans un double mouvement : l’affaiblissement de l’État comme acteur légitime des relations internationales, et l’évolution de la violence armée avec de nouveaux moyens pouvant obtenir des effets stratégiques sans recourir forcément à des capacités destructrices et cinétiques. Ils y associent le retour de la guerre par procuration ou par substitut (surrogate), dans laquelle un commanditaire délègue à un autre acteur, étatique ou non étatique, reconnu ou pas, la capacité de mener la guerre à sa place. Le concept en soi n’est pas récent, mais les auteurs jugent que le xxie siècle accélère cette tendance à « l’externalisation du fardeau de la guerre », du fait des limites toujours plus floues entre paix et guerre, de l’émergence de conflits hybrides, dans un environnement saturé par les médias et qui pose la question de l’action internationale en général, et de l’action militaire en particulier.
En sept chapitres, Rickli et Krieg reviennent sur les origines historiques et l’environnement géostratégique actuel avant de poser leur concept d’une « néo-trinité ». Selon eux, les liens entre les citoyens, le gouvernement et l’armée doivent être revus, face à une distance et une incompréhension accrues – et volontairement créées – entre les citoyens et la façon dont l’État organise leur sécurité et leur défense. Le retour à un schéma caractéristique de l’époque moderne serait permis par le rôle que joueraient les nouvelles technologies, qui « mettent à distance » (il faut lire les analyses sur les drones et le cyber), et s’apparentent de fait à des « substituts technologiques ». Les chapitres 5 et 6 renforcent cette impression, en soulignant combien le degré de procuration conduit à un degré d’autonomie et de dépendance des acteurs, avec les risques (notamment politiques et éthiques) associés.
Trois interrogations surgissent à la lecture de cet essai. La première tient à la nécessité de bâtir un nouveau modèle (« une néo-trinité »), alors que la procuration pourrait être vue comme une pratique ne remettant pas en cause les fondements théoriques de Clausewitz. Le second problème tient au prisme technologique, aux nouvelles formes de guerre à distance (le drone), et au déni de responsabilité (le cyber), quand on observe que les conflits actuels se jouent aussi au contact des réalités du terrain. Enfin, l’externalisation de la guerre n’autorise pas les acteurs étatiques à mener une véritable guerre à bas bruit, du fait des mécanismes démocratiques des États occidentaux, et de l’environnement médiatique – pourtant largement cité.
Cet ouvrage n’en reste pas moins un essai stimulant, offrant un vrai débat sur ce qu’est la guerre aujourd’hui, notamment autour des enjeux éthiques et juridiques liés aux révolutions technologiques, en cours et à venir.
Guillaume Lasconjarias
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