Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2020). Panpi Etcheverry propose une analyse de l’ouvrage de René Cagnat, Le Désert et la Source. Djihad et contre-djihad en Asie centrale (Éditions du Cerf, 2019, 376 pages).
Cet ouvrage a le mérite d’aborder la région comme un ensemble pluriel mais surtout comme « une communauté de civilisation, une proximité linguistique, un même destin historique », du Xinjiang à l’Afghanistan en passant par les cinq républiques post-soviétiques d’Asie centrale.
L’auteur, à travers ses pérégrinations, a pu constater la montée progressive et insidieuse des islamismes radicaux en Asie centrale. Il pointe du doigt les influences saoudiennes et pakistanaises, ainsi que le danger représenté par l’Afghanistan. Si la réislamisation de l’Asie centrale post-soviétique résulte d’une lourde tendance historique, il n’en demeure pas moins que le péril islamiste et djihadiste, qui existe bel et bien, n’est peut-être pas aussi imminent que l’expose René Cagnat. Nombre d’ouvrages ont prédit une « apocalypse djihadiste » en Asie centrale depuis la fin des années 1990 et l’émergence des talibans en Afghanistan, sans que ce scénario catastrophe n’advienne jusqu’à présent. L’Asie centrale est même, en dépit de son environnement stratégique et d’une population largement musulmane, une des régions où le terrorisme a fait le moins de morts dans la dernière décennie. Les nombreux départs de Centre-Asiatiques vers le « califat » de Daech depuis 2014 ont pourtant montré une réelle perméabilité au radicalisme, et un certain nombre de vulnérabilités structurelles qui pourraient devenir dangereuses.
Dans la continuité de son ouvrage Du djihad aux larmes d’Allah, René Cagnat dénonce l’explosion du trafic de drogues dans la région, en particulier en Afghanistan, qui entretient la corruption et sert au financement de groupes islamistes et/ou terroristes. Pour autant, sur certains points, telle « l’installation-éclair avec des hélicoptères non identifiés de combattants de Daech dans le nord de l’Afghanistan », l’auteur semble basculer dans le sensationnalisme, voire le complotisme. L’information, impossible à vérifier et intrigante, aurait mérité une analyse détaillée et la mention des sources. Cagnat relève l’appui possible des services pakistanais à la branche afghane de Daech (en grande partie constituée d’anciens talibans pakistanais) en le surestimant probablement ; et il apparaît peu convaincant lorsqu’il évoque l’implication de la CIA dans ces vols d’hélicoptères ou dans le trafic de drogues.
Pour autant, René Cagnat a réussi son pari, avec un ouvrage qui intéressera à la fois le public averti et les novices, grâce à une construction et une écriture fort agréables, pleines d’anecdotes personnelles qui rendent le récit informatif et très vivant. De même, il livre une analyse passionnante des rapports de force internationaux qui se jouent dans une région, qui, bien que marginale et inconnue pour beaucoup, se trouve sur des lignes de fractures géostratégiques majeures pour les années à venir. Le parallèle qu’il dresse entre l’Asie centrale et l’Europe afin de souligner les bienfaits de la construction européenne tout en regrettant l’inexistence d’un tel processus en Asie centrale, s’avère également intéressant. Enfin, le style de l’auteur, inimitable et fleuri, inhabituel pour un ouvrage de ce genre, titille notre imaginaire et immerge le lecteur dans les réalités topographiques, culturelles et sociales d’une « Grande Asie centrale » en pleine ébullition.
Panpi Etcheverry
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