Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2020).
Morgan Paglia, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage d’Ofira Seliktar et Farhad Rezaei
, Iran, Revolution, and Proxy Wars (Palgrave Macmillan, 2020, 248 pages).

Dans Iran, Revolution, and Proxy Wars, Ofira Seliktar et Farhad Rezaei, respectivement professeur au Gratz College (Pennsylvannie, États-Unis) et chercheur au Centre d’études en politiques internationales (Cepi) à l’université d’Ottawa (Canada), font l’inventaire des modes opératoires employés par Téhéran pour contrôler autant que possible les milices – ou proxys – dans les guerres par procuration menées par l’Iran au Moyen-Orient.

La République islamique a une double nature : à la fois État et agent exportateur d’une révolution pan-chiite qui se veut transnationale. Dans les premiers chapitres, les auteurs reviennent sur les étapes qui ont jalonné la construction d’un réseau de relais d’influence dans la région – l’« Axe de Résistance ». Au lendemain de la chute du shah, les pères fondateurs de la nouvelle République islamique tentent de diffuser le modèle théocratique promu par l’ayatollah Khomeiny en exploitant les fractures confessionnelles et politiques préexistantes, par l’entremise d’« entrepreneurs identitaires ». Les liens qu’entretiennent les pionniers de l’action iranienne avec les mouvements palestiniens prédestinent le Liban à devenir une plateforme de premier plan. Le Hezbollah est donc le premier groupe armé directement créé avec l’appui iranien, et servira ensuite de modèle au reste des proxys. Ainsi peut‑on parler parfois de « libanisation » pour mesurer la proximité des pays de l’« Axe de Résistance » avec l’Iran.

Le travail d’analyse mené par les auteurs permet de comprendre pourquoi l’influence iranienne s’entremêle avec d’autres problématiques régionales comme le conflit israélo-palestinien, les interventions israéliennes au Liban, et à partir de 2011, les raisons qui ont poussé l’Iran à aider la Syrie pendant la guerre civile. La seconde partie de l’ouvrage s’intéresse au rôle ambivalent de l’Iran en Afghanistan après la chute des Talibans, à l’attitude ouvertement hostile de Téhéran vis-à-vis de la présence américaine en Irak à partir de 2003, ou encore aux tentatives d’implantation iraniennes dans les pays du Golfe.

Les auteurs reviennent sur le parcours des personnages, chefs de clans, prélats, guérilleros, sélectionnés pour leur capacité à polariser la violence des groupes sociaux sur des ennemis communs – États-Unis et Israël en particulier. Un deuxième axe de réflexion se concentre sur les organes chargés, au sein de l’État iranien, de la diffusion de la révolution. Cette mission est d’abord pilotée par un ensemble de structures comme l’Organisation des Mouvements de Libération de l’Iran, composées d’idéologues et de pionniers du combat révolutionnaire, avant d’être réunies au sein d’une entité unique – Al-Qods –, une branche des Gardiens de la révolution créée à la fin des années 1980. Cette entité a prouvé son efficacité en mobilisant en Syrie au début de la décennie 2010 plusieurs dizaines de milliers de combattants, en grande partie issus d’Irak, du Liban, d’Afghanistan et du Pakistan, au sein d’une « armée de libération chiite ».

En analysant les rapports entre les différentes institutions iraniennes, et en retraçant le parcours de certaines figures clés des milices des années 1980 aujourd’hui à la tête de puissants appareils politiques et miliciens en Irak, au Yémen et au Liban, l’ouvrage permet de rendre l’« Orient compliqué » plus lisible et accessible.

Morgan Paglia

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