Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2020-2021 de Politique étrangère (n° 4/2020). Nicolas Hénin propose une analyse de l’ouvrage de Gilles Ferragu, Otages, une histoire. De l’Antiquité à nos jours (Gallimard, 2020, 544 pages).

À l’origine, les otages étaient donnés ou échangés comme garants de la parole du souverain et étaient par conséquent des garants de la paix. L’otage originel n’est ainsi pas tant le produit d’une capture qu’un gage confié par une partie à une autre pour sceller un accord.

Dans ce livre, Gilles Ferragu explique que la prise d’otage est concomitante, voire consubstantielle, à la création des premiers États, comme si un souverain ne pouvait régner, ni régenter des relations avec ses pairs, s’il ne disposait du contrôle absolu sur le corps des personnes. On retrouve ainsi des otages dès l’âge de bronze en Égypte, dans l’antiquité hébraïque, chez les Assyriens, les Perses, les Carthaginois, les Gaulois, les Germains, et jusqu’aux royaumes chinois du viiie siècle avant notre ère… Avant que la diplomatie ne leur accorde l’immunité, les premiers « envoyés », ancêtres des ambassadeurs, jouaient aussi le rôle d’otages en puissance. On trouve la trace de ce rôle dans l’étymologie du mot, qui rappelle qu’il est un hôte – plus ou moins volontaire.

Au Moyen Âge, rien ne vaut un otage pour ouvrir une négociation ou garantir un traité. Il devient même un attribut de souveraineté. L’auteur décrit ainsi l’invention de la souveraineté par le prisme de la capacité à donner ou prendre des otages. Toutefois, au fur et à mesure que les relations entre États vont se codifier, la place de l’otage change et son usage devient criminel, davantage lié à des guerres et donc à des crimes de guerre.

Gilles Ferragu revient par exemple sur l’usage des otages, notamment juifs, dans les régions occupées par l’armée nazie. Un usage où le crime est codifié de manière très administrative, pour décider de leur mort ou de leur libération contre rançon. La quatrième Convention de Genève (1949) prohibe la prise d’otage, mais n’empêchera pas l’usage de boucliers humains. Le terme connaît un succès médiatique avec l’invasion du Koweït, lorsque Saddam Hussein retient des milliers de ressortissants étrangers.

Alors que les historiens font remonter le terrorisme contemporain à la fin du XIXe siècle, c’est en marge de la guerre froide que le terrorisme élargit sa palette d’actions pour y ajouter les prises d’otages. Les FARC colombiennes en feront notamment une industrie. En Europe, le procédé est introduit par les Brigades rouges, puis l’ETA. Au Moyen-Orient, les premières prises d’otages sont faites via des détournements d’avions, à la fin des années 1960, opérés par des groupes palestiniens. La révolution iranienne et la crise des otages de l’ambassade américaine en 1979 font entrer le mode opératoire dans le monde chiite. Des groupes terroristes de cette confession l’utiliseront largement lors de la guerre au Liban. Ils seront suivis par les groupes sunnites dès le début des années 2000.

Le livre dresse un tableau riche, mais qui aurait sans doute mérité d’être développé, notamment sur le dilemme auquel est confronté l’État dont des ressortissants ont été kidnappés par un groupe terroriste – la distinction étant quelque peu artificielle entre pays occidentaux « qui paient » et d’autres « qui ne paient pas ». Il décrit en revanche très bien la stratégie menée par l’État islamique dans ses prises d’otages : affirmation de son statut d’« État » (d’où l’intérêt des développements sur l’otage comme attribut de souveraineté), mais aussi financement et propagande.

Nicolas Hénin

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