Co-auteur de l’article « Diplomatie chinoise : de l' »esprit combattant » au « loup guerrier » » paru dans le numéro de printemps de Politique étrangère  (n°1/2021)Marc Julienne, chercheur au Centre Asie de l’Ifri, répond à trois questions en exclusivité pour politique-etrangere.com.

À quoi renvoient les concepts chinois de l’« esprit combattant » et du « loup guerrier » ?

« L’esprit combattant » est une formule promue par Xi Jinping lui-même. Dans un discours de 2019 devant l’École centrale du Parti, il avait exhorté les cadres du Parti à développer leur « esprit combattant » pour défendre l’image et les intérêts de la Chine partout dans le monde. La formule s’applique particulièrement aux diplomates qui sont considérés comme les soldats de la « guerre diplomatique » que livre la Chine à l’Occident. Considérant que la meilleure défense est l’attaque, les diplomates sont encouragés à « oser combattre » sur tous les fronts : dans la diplomatie, dans les médias, sur les réseaux sociaux.

Le « loup guerrier » est finalement la manifestation de cet esprit combattant chez de nombreux diplomates chinois. L’expression trouve racine dans le blockbuster chinois, Wolf Warrior 2, sorti en 2017, dans lequel un ancien militaire chinois porte secours à des compatriotes en Afrique menacés par des mercenaires occidentaux. L’expression est donc rapidement devenue très populaire dans les premiers mois de la crise du COVID-19, pour désigner les diplomates extrêmement virulents et agressifs contre toute mise en cause de la responsabilité de la Chine dans la pandémie. C’est pourquoi l’expression « loups guerriers » a connu une large médiatisation à travers le monde. Certains observateurs chinois ont cherché à discréditer l’appellation vue comme péjorative, d’autres l’ont revendiquée avec une certaine fierté. Ce qu’il est important de comprendre, au-delà de la formule, c’est que l’attitude nouvelle des diplomates chinois – assez anti-diplomatique finalement – résulte de directives politiques émanant du plus haut niveau du Parti communiste chinois. Cette stratégie qui découle de la « pensée diplomatique de Xi Jinping » semble toutefois être plus coûteuse que bénéfique eu égard à la dégradation substantielle de l’image de la Chine dans le monde ces derniers mois. Mais l’objectif essentiel semble être de montrer une Chine puissante et sûre d’elle.

En quoi la stratégie de communication sous Xi Jinping rompt-elle avec celle de ses prédécesseurs ?

Depuis la fin des années 1970 et l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping, la diplomatie chinoise a été dominée par l’approche du « profil bas » et la maxime « cacher ses talents en attendant son heure ». Au fur et à mesure de sa montée en puissance, la Chine a cherché à affirmer sa place sur la scène internationale. Dans les années 2000, le slogan consacré était « l’émergence pacifique ». Peu à peu Pékin a mis de côté le « profil bas » et a exhibé les nouveaux atours de sa puissance, par le biais des Jeux olympiques de 2008, par exemple, ou de l’Exposition universelle de Shanghai en 2010, et, dans le domaine sécuritaire, de la participation à la lutte contre la piraterie dans l’océan Indien.

Xi Jinping a nettement accéléré cette tendance. Dès son arrivée au pouvoir, il a exigé une innovation dans les méthodes de propagande extérieures, afin de reconquérir le « droit de parole international » de la Chine, considéré comme perdu ou interdit par l’Occident. Il a ainsi renforcé le contrôle du Parti sur les médias et encouragé leur développement à l’international. On pense en particulier à la chaîne de télévision CGTN et à l’agence de presse Xinhua, deux des principaux médias d’État. Dans le discours extérieur promu par Xi Jinping aujourd’hui, il y a aussi la volonté de présenter la Chine comme une grande puissance, sur un pied d’égalité avec les États-Unis. Elle entend ainsi peser de tout son poids dans la gouvernance internationale et œuvre en faveur d’un système davantage à son image, quitte à réformer certains principes acquis comme la définition des droits de l’Homme (entérinée dans la déclaration universelle de 1948). Cette approche correspond en tout point à une vision réaliste des relations internationales, dans laquelle la puissance permet d’imposer sa volonté aux autres. On pourrait même trouver certaines similarités avec la politique internationale des États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale, à la différence capitale des valeurs promues… L’approche chinoise du droit de la mer en est l’une des plus évidentes démonstrations quand Pékin entend s’octroyer des « droits historiques » sur des espaces maritimes réglementés par la Convention de Montego Bay.

Pourquoi peut-on dire que la nouvelle diplomatie chinoise est-elle « décomplexée » ?

La diplomatie chinoise semble en effet suffisamment décomplexée pour ne plus accorder autant d’importance que par le passé à son image et sa réputation. Alors que Pékin s’efforçait résolument à bâtir son soft power depuis le début des années 2000, il apparaît désormais que la séduction et l’attraction ne sont plus à l’ordre du jour. Il s’agit maintenant d’exhiber une posture de grande puissance qui exonérerait la Chine d’une certaine bienséance diplomatique, à en croire les nouvelles pratiques et attitudes de nombreux diplomates, ceux-là même qualifiés de « loups guerriers ».

Désormais, lorsque Pékin fait face à des critiques ou à un désaccord, c’est le rapport de force et l’intimidation qui priment immédiatement. On dispose de nombreux exemples de menaces proférées par des ambassadeurs et diplomates à l’encontre de gouvernements et d’entreprises, si les intérêts de la République populaire de Chine (RPC) ne sont pas respectés. Nous citons dans l’article les exemples de la Suède, de l’Allemagne, de la République tchèque et de la France, d’autres encore, tels que la Corée du Sud, l’Australie, le Canada sont tout aussi illustratifs.

La diplomatie chinoise est également décomplexée quant aux vecteurs de communication qu’elle utilise. Auparavant très discrets et surtout cantonnés aux canaux diplomatiques officiels, les diplomates chinois s’expriment désormais volontiers dans les médias du pays hôte, ainsi que sur les réseaux sociaux, y compris et surtout ceux qui sont censurés en Chine. Cette pratique n’est en rien exceptionnelle tant les réseaux sont devenus une arène à part entière de la politique internationale, depuis qu’un président américain a fait de Twitter son outil de communication privilégié, prévalant même sur la diplomatie officielle. Toutefois, les médias traditionnels et les réseaux sociaux sont utilisés par un nombre croissant de diplomates chinois comme des vecteurs d’influence, de critiques agressives, voire de désinformation. Les exemples sont nombreux concernant l’origine et la gestion du COVID-19, le Xinjiang, Hong Kong ou encore Taïwan. Que les autorités de Pékin aient des critiques à formuler quant aux positionnements de certains gouvernements, parlementaires, chercheurs ou médias occidentaux est légitime en soi. Cependant, le discours agressif de nombreux diplomates a pour conséquence de court-circuiter les pratiques diplomatiques conventionnelles et impose aux gouvernements de répondre tout autant de fermeté. Ainsi, on peut craindre que cette nouvelle diplomatie chinoise décomplexée n’alimente un engrenage de tensions politiques, aux antipodes de la mission première et essentielle de la diplomatie : le dialogue et la négociation.

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